Livre offert : la Guerre de la Salive

 

AVERTISSEMENT 1993

            

            J'ignore si je puis vous être d'un grand secours, dans la mission dont on vous a chargé... Votre ambition déclarée de rapporter “le point de vue de Candide” exige, en fait, beaucoup de connaissances et de méfiance, beaucoup de temps et de réflexion. Et Voltaire pouvait se targuer d'avoir  et l'une et l'autre,  qui rédigea ce conte philosophique, à l'âge respectable de... 65 ans !

 

De nombreux écrits ont été consacrés à la questiondite “de Mayotte”, maints auteurs se sont penchés sur elle, avec souvent plus d'intérêt pour l’art juridique que pour la justice. Mais, conscient de ce qu'il faille maîtriser, aussi, la technique du droit, si l'on veut, quelque jour, faire triompher simplement l'équitable, je mesure pleinement le handicap dont je souffre de n'être pas juriste...

 

            Je ne vous donnerai donc, ici, que l'avis de l'honnête homme, du citoyen qui compte sur le bon sens de ses égaux. J'ai, tout de même, quelque supériorité sur les juristes dont l'argumentation, parfois brillante, s'appuie souvent sur des prémisses erronées.

 

            C'est que je suis ethnographe - et même un peu ethnologue - des Comores, pour y avoir recueilli la tradition écrite et orale, pendant environ 5 ans, de plus passablement historien de l'archipel, pour avoir consulté les archives de divers dépôts en France et dans l'Océan Indien, et interrogé de nombreux acteurs et témoins de la vie publique des îles, anthropologue enfin, pour avoir longuement réfléchi sur le fonctionnement de cette société et sur la culture originale qu'elle déploie... 

 

            C'est dire qu'il n'est pas facile de m'abuser, alors qu'il est enfantin de tromper les non-spécialistes : il suffit, comme cela se fait couramment, de leur passer au cou, à leur arrivée à l'aéroport de Pamandzi, un collier de fleurs de jasmin, piquées de clous de girofle ; aussitôt, ces modernes Ulysse en ont l'entendement troublé et sont prêts à répéter tout ce qu'on voudra bien leur “enseigner”... Rares, trop rares, ceux qui remarquent, dans le collier de bienvenue au royaume des illusions entretenues, la forme exacte et cruelle d'une couronne mortuaire, solennellement déposée sur l'intellect soudain tétanisé du voyageur accueilli.

 

            Si donc, l'on vous a parlé du "point de vue original" qui serait le mien, cela tient sans doute à cette connaissance assez fine du terrain sociologique local, à laquelle je crois être parvenu. Naturellement, il faudra la mettre à l'épreuve des faits. Les divers témoignages et points de vue que vous recueillerez, ici et là, vous y aideront certainement…

 

Homme de terrain et (je l'espère) de réflexion, je crois avoir un autre titre à faire valoir : celui, d'abord, d'être resté moi-même. C'est dire que, dans ce dialogue malaisé entre Français et Comoriens, j'entends voir les uns et les autres dans leur réalité complexe, avec les qualités et les faiblesses propres à chacune de ces deux cultures. Je souhaiterais, à cet égard, ne manifester qu'un seul penchant peut-être, celui menant à plus de cohérence et de justice...

 

Oserais-je enfin prétendre à une certaine impartialité ? Dans le litige qui semble opposer, d'une part les îles Comores entre elles, d'autre part l'Etat Comorien à l'Etat Français, je n'ai aucun intérêt pécuniaire ou même affectif qui puisse faire suspecter mon objectivité, dès l'abord. Je ne me suis engagé dans l'archipel des Comores que pour y exercer mon esprit à la recherche et à la découverte de la connaissance, comme fins en soi. Après 30 années de travaux et de réflexion, je n'ai gagné nul avantage matériel, tout au contraire, dans la mesure où plus on approche des vérités, plus on s'aliène la sympathie des pouvoirs qui entendent les celer pour mieux perpétuer leur domination oppressante ou s’assurer divers avantages particuliers...

                Vous me demandez donc - et cette démarche vous honore puisque rares sont ceux qui osèrent m'interroger et braver les interdits -comment j'appréhende la question de Mayotte, à partir de mon expérience et des connaissances acquises, et quelles solutions (théorique et pratique) je préconise pour sortir de l'impasse actuelle. Vous avez, par là, énoncé, vous-même, les deux volets de ma réponse : le diagnostic et le remède.

 

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            Le volet du DIAGNOSTICest, naturellement, essentiel  puisque de lui dépend l'efficacité du traitement. Or, si l'on veut pouvoir répondre à une question, quelle qu'elle soit, encore faut-il la poser correctement. Les questions insolubles ne sont souvent, de fait, que des questions mal posées, c'est-à-dire mal abordées. Pour parvenir à formuler correctement cette question-ci, il faut, à mes yeux, disposer de connaissances à la fois vastes et précises que, seules, peuvent conférer des années de recherche... Il est donc normal que très peu de gens soient, actuellement, en mesure de bien poser l'ensemble du problème…

             J'aborderai, d’abord et successivement, SEPT POINTS,à mon avis essentiels, parce qu'on ne saurait nier, sans dommages, l'importance et le poids respectifs de chacun d’eux : les origines biologiques et culturelles des groupes swahili, leur milieu géographique, leur techno-économie, la démographie des populations comoriennes, leur sociologie politique, les idéologies à l'œuvre en leur sein, le tout en devenir et plongé dans l'Histoire événementielle et structurelle... Donc,

 

I.      La Genèse du Monde Swahili.

II.    Lien  entre Techniques et Idéologies.

III.  Fonctionnement de la Cité Swahili.

IV.  Les Swahili du Large.

V.     Importance de la Terminologie.

VI.   Rôle de la Démographie.

VII.  Poids Décisif de l'Histoire.

 

Le chapitre VII est naturellement le plus riche et contient toutes les réponses aux principales questions que l'on se pose ordinairement, sur ce thème.  Ces points d’interrogation seront distribués sur

 

        CINQ GRANDES PÉRIODES HISTORIQUES

 

Þ1843-1914 : l'IMPLANTATION GRADUELLE 

     de la FRANCE  dans l'archipel des Comores.

 

Þ1843-1945 : le RÉGIME COLONIAL FRANCAIS.

 

Þ1946-1975 : l'ÉMANCIPATION PROGRESSIVE. 

 

Þ1976-1990 : le DÉCHIREMENT, le CHAOS, les 

                             DICTATURES. 

 

Þ1990-2000  :  les RISQUES CROISSANTS 

                       d’ECLATEMENT

 

            Ce regard rétrospectif et panoramique comprendra ainsi 

 

9 sections pour la période A,

2 sections pour la période B

6 sections pour la période C

4 sections pour la période D.

X sections pour la période E

 

            Je serai alors amené à considérer finalement  TROIS POINTS:

VIII.  L’Entité Komori

IX.   La Guerre de la Salive

X.    L’Argumentation Décisive

 

 

            Dès lors que ce programme d'études, de découverte et de réflexion aura été conduit à son terme, il apparaîtra relativement aisé de prendre une décision et de reconnaître que les moyens de résoudre le litige franco-comorienexistent bel et bien.

 

               Car, non seulement on se sera persuadé qu'il doit, en droit, être résolu, mais aussi qu'il peut l'être, à peu de frais et sans injustice pour quiconque.

 

            Dans le deuxième volet, très court, intitulé

 

XI. La Réconciliation

 

et consacré au REMÈDE, je n'indiquerai que quelques pistes, laissant aux juristes le soin de mettre au point les procédures les plus fines et adaptées. Je me contenterai d'énoncer certaines de celles que je crois praticables et qui s'inscrivent, normalement et logiquement, dans le prolongement de mon exposé.

 

 

 

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SOMMAIRE

 

0. AVERTISSEMENT                                                                     2

I. LA GENÈSE DU MONDE SWAHILI                                       

II. LE LIEN ENTRE TECHNICITÉ ET IDÉOLOGIE                    

III. LE FONCTIONNEMENT DE LA CITÉ SWAHILI                

IV. LES SWAHILI DU LARGE.                                                  

V. TERMINOLOGIE, ONOMASTIQUE, NÉOLOGISME.        

VI. L'INFLUENCE DE LA DÉMOGRAPHIE.                             

VII. LE POIDS DÉTERMINANT DE L'HISTOIRE.        

A. 1814-1914 : L'IMPLANTATION GRADUELLE

                              DE LA FRANCE   AUX COMORES          

1.  De quand date l’intérêt français pour l’archipel ?          

2.  Mayotte/Maorè est-elle une Comore ou non ?                 

3. Quelles relations les îles entretenaient-elle avant 1841?        

4.  Pourquoi les Français s’installèrent-ils d’abord à Maorè ?      

5.  Quelles furent les conditions réelles 

      de la cession de Maorè à la France ?   45

6   Pourquoi l’accord fut-il un traité d’annexion 

     et non de protectorat ? .................................................. 

7.  Pourquoi la France ne s’implante-t-elle 

      dans les autres Comores que 43 ans plus tard ?........      

8.  Quelle importance faut-il attribuer 

   à ce décalage (1843-1886) ?.............................................         

9.  La période des Protectorats (1886-1914) marque-t-elle 

   un tournant dans l’Histoire de Komoro ? ....................         

 

B. 1914-1946 : LE RÉGIME COLONIAL FRANCAIS                  95

1. L’ensemble comorien se dissout-il dans l’entité administrative malgache ?             95

2.  Assiste-t-on à l’émergence d’un fort sentiment national  comorien ?    97

 

C. 1946-75 : L'ÉMANCIPATION PROGRESSIVE                       103

1.  Pourquoi Colonisateur et Colonisés s’orientent-il vers l’émancipation des Comores ?        103

2.  Quelles ont été les étapes de cette lente décolonisation ?            107

3.  Comment se manifestent les tensions internes et externes autour de la Question de l’Indépendance des Comores ?     114

     4. Le transfert de la capitale de Dzaoudzi à Mroni fut-il une erreur et à qui est-elle due ?  121

      5. Pourquoi la Question de Mayotte ne s’est-elle pas doublée d'une Question de Mwali ?                         

6. Dans quelles conditions Komori  accéda-t-il à l’indépendance ? 129

 

  D.1976-1990 : ÉCLATEMENT, CHAOS, DICTATURES           142

        1. Pourquoi et comment cette indépendance conduisait-elle  à la révolution des structures  ?               144

 2. Pourquoi la Révolution socio-politique (1976-78) a-t-elle échoué ?            147

 3. Comment caractériser la période de Restauration (1978-90) dans la trinésie ?            152

4.Peut-on parler d’une 2èmeColonisation de Mayotte (1975-90) ?   159

 

E. 1991-2.000  :  les risques accrus d'ECLATEMENT

 

VIII. KOMORO SUBSISTE-T-IL comme ENTITÉ spécifique  163

IX. FAUT-IL (et comment) PRENDRE PART à   la GUERRE DE LA SALIVE ?     168

X. QUELLE ARGUMENTATION DÉCISIVE DÉVELOPPER pour clore le débat sur le litige franco-comorien ?   187

XI. COMMENT LA FRANCE PEUT-ELLE SE RÉCONCILIER avec ses idéaux, avec le droit international, avec Komori ?      197

 

 

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BIBLIOGRAPHIE indicative                                                         202

 

ILLUSTRATIONS                                                                          205

 

 

 

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I.  La GENÈSE du MONDE SWAHILI .

 

            L'émergence de ce peuple de synthèse doit s'être produite vers le premier siècle après J.C. et peut-être même avant. Son nom est, déjà, totalement significatif :

 

le mot arabe SAHL veut dire RIVAGE, LITTORAL,car la culture, puis la civilisation locales, se sont formées puis déployées sur cette frange orientale de l'Afrique et occidentale de l'Océan Indien  (Voir Document 3/ carte/ page 10). 

 

            Mais le mot arabe qui les a nommées a, tout de suite, été l'objet d'une appropriation et d'une modification montrant assez que le premier peuple utilisateur et fondateur du vocable et de la synthèse swahili  n'était pas, lui-même, arabe.

                 

            Ce sont, en effet, des groupes de race et de culture ba'ntou qui ont ainsi forgé le mot SWAHILI, à partir de SAHL, selon la structure binaire (consonne-voyelle) de leurs langues.

 

            Cette première approche permet donc de définir et limiter le monde swahili qui va nous intéresser. 

 

Soit la formule :

 

Fonds Biologique et Culturel BA'NTOU    

    +  

Apport Biologique et Culturel ARABE

      =  

Synthèse Biologique et Culturelle SWAHILI

 

            Les Swahili sont fondamentalement des Ba'ntou qui ont choisi de se placer dans la mouvance arabe (devenue majoritairement islamique, au 7èmesiècle J.C.) et qui, nous le verrons, tendent à survaloriser leur composante arabe, aux dépens de leur fonds ba'ntou.

 

Ils se distinguent aisément des ensemble culturels environnants : 

      Údes autres Ba'ntou, par leur composante sémitique et  notamment arabe ;

Údes Arabes dont ils ne parlent pas la ou les langues ;

Údes non-Ba'ntou, tels les Béja, les Somali, les Galla, avec lesquels cependant ils ont été en contact, au cours de leur Histoire continentale.

 

            Eux-mêmes, bien qu'ils constituent des groupes différenciés, et qu'ils aient forgé des langues différentes, forment un ensemble frappant par son HOMOGÉNÉITE FONCTIONNELLE, au-delà de sa diversité formelle... C'est dire que ces sociétés, ancrées chacune dans une cité côtière et autour d'elle, fonctionnent à peu près exactement de la même façon, embrassent la même idéologie et le même système de valeurs, déploient une même technologie encore peu différenciée,  procèdent toutes avec l'extérieur à des échanges continus dont elles tirent leur oxygène...

 

            Ce monde swahili va ainsi, au cours des siècles, s'étendre progressivement de la Somalie au Mozambique, au point de couvrir 4.000 km de façade océanique est-africaine et même d'enjamber le canal, comme pour tenter de s'établir sur la grande île de Madagascar. Incroyable EXPANSIONd'un peuple qui, pourtant, même au faîte de sa puissance, ne constituera jamais vraiment un Empire centralisé pyramidal...

 

            C’est ici qu'il faut introduire et comprendre deux acceptions du mot PEUPLE, un sens ethnologique et un sens politique du terme, en une distinction sur laquelle je reviendrai. En effet, de nombreux peuples ont une spécificité indéniable, et constituent des entités ethniques qui, cependant, pour des raisons variables, n'ont pas pu ou voulu accéder au précipité politique.

            Ceci est très frappant pour le monde swahili qui, pourtant, au temps de son apogée vers le 11èmesiècle, lorsque son économie exploitait et distribuait l'or du Zi'mbabwé, exerça un véritable rayonnement dans toute la région. (Voir Document 4/carte/ page 13.) C'était une époque où les cités-Etats maritimes resplendissaient de monuments, où les échanges matériels et intellectuels avec l'Arabie, l'Inde, la Perse et l'Indonésie malgache  battaient leur plein...

 

                 Ce monde, bien qu'on pût l'appeler, par analogie, l'EMPIRE ZE'NDJIne fut pas le siège d'un processus de centralisation rigoureuse, en raison de données multiples : géographique (dispersion des cités), technologique (faible spécialisation), économique (zone de transit et non de production), sociologique (rivalités des cités), politique (dépendance culturelle vis-à-vis de l'extérieur) et psychologique (identité complexe)...

 

 

 

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II.  Le LIEN entre 

TECHNICITÉ  et  IDÉOLOGIE

 

            Les clans swahili tiennent, de leur origine ba'ntou, une maîtrise technique qui s’applique d’abord à l'agriculture artisanale et itinérante et à l'élevage du bétail. Leur migration vers le littoral les amène à pratiquer, aussi, la pêche en mer. Ils demeurent encore proches des stades, simplement prédateurs, de la chasse, de la cueillette et de la pêche en eau douce, même si certains groupes ont déjà accès à la métallurgie du fer. Leur niveau de connaissance technique les rive à la terre nourricière qui leur fournit aussi, par analogie, les systèmes conceptuels successifs, caractéristiques du TELLURISME(ou ensemble des religions de la Terre).

 

            Un des traits constants du tellurisme est la surestimation de l'INTENTION, du VERBEet de leurs sous-produits : voeux (notamment maléfices), symbole, prières, formes rituelles... Leur efficacité (sur des esprits coopérants et réceptifs) est jugée telle  qu'ils occupent la place, prise progressivement dans d'autres sociétés par l'action et l'expérimentation. Ils dispensent alors le plus grand nombre de passer au stade de l'écriture, utile et nécessaire à l'accumulation et à la fécondation du savoir.

 

            La rencontre du tellurisme ba'ntou et du tellurisme arabe, puissamment actif dans la doctrine islamique - et notamment dans les Traditions sur la Vie du Prophète Mahomet - s'effectue sans heurt et sous le signe de la continuité sur la côte orientale africaine. D'autant plus aisément que la rupture mohamédienne est, à l’origine, dirigée contre l'idéologie des Empires despotiques, à savoir contre les URANISMES(les diverses religions du ciel et de l’inégalité), et tend à renouer avec le tellurisme égalitaire. En pays swahili, seul le culte des ancêtres est mis à mal par la religion nouvelle, aussitôt remplacé par la valorisation des génies du sol et par l'émergence de la vénération des saints de l'islam...

 

            La surestimation du Verbe va, naturellement, s'étendre aux signes écrits du Livre ; la terreur (entretenue) des malédictions et des maléfices va renforcer le formalisme et le symbolisme propres à la religion islamique. Une classe de lettrés oppresseurs va s'appesantir sur le monde swahili, le maintenir sous sa coupe, sur un mode de production féodal, et réussir à l'engluer dans une conception fixiste et bornée de la vie. Malgré sa réceptivité et sa traditionnelle ouverture sur l'extérieur, cette société en restera toujours à un faible niveau technique. Il se percevra toujours comme essentiellement dépendant des apports culturels océaniques. L'islam même qui devait l'élever, contribuera, utilisé à ses fins par la classe féodale, à le maintenir dans un certain obscurantisme…

 

            D'autre part, l'oisiveté et le rôle que s'attribuent les privilégiés et les dirigeants de ce monde, devenu progressivement inégalitaire, sont à l'origine de raffinements et de réussites incontestables, dans le domaine des arts de la parole, de l'organisation de la cité, de la forme architecturale, notamment... Le souci de l'apparat va marquer profondément cette société et accompagner normalement son passage graduel de l’influence chi'ite, plus ésotérique, à la mouvance soun'nite, plus mondaine…  

 

 

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III.   Le FONCTIONNEMENT

     de la CITÉ SWAHILI

 

            Il faut, ici, revenir à la formation concrète du complexe swahili. Le théâtre physique de cette émergence revêt l'aspect d'une CHARNIÈRE  (voir Document 5 / schéma / p.17)

 

Üla partie fixe, comme rivée au continent africain, est le littoral, à l'ouest ;

 

Üla partie mobile, à l'est, est le récif, couvert et découvert par la marée, avec les îles et îlotsavoisinants ;

 

De part et d'autre de cette charnière, s'étendent deux aires : 

 

     C Üà l'ouest, l'intérieur du continent; 

     D Üà l'est, l'océanindien.

 

            Cet organisme de synthèseAB, ainsi défini, a besoin, pour son développement, à la fois de la mer D (pour ses effluves culturels et ses apports en produits transformés) et de l'intérieur du continent C (pour ses matières premières et sa main-d'oeuvre).

                         Il fonctionne comme un peuple-classe qui puise à deux sources, dépend de l'extérieur mais domine l'intérieur. Car, inférieur en technologie et peu spécialisé, par choix et par nécessité, il attend toujours l'impulsionde celui qui domine l'océan...

            Cela se vérifie aussi sur le plan biologique et engendre une permanente stratégie des alliances matrimoniales ; pour se protéger, on s'allie par mariage, à l'ouest, avec des tribus ba'ntou, remuantes et guerrières qui jouxtent le littoral ; pour acquérir un supplément de richesses, de connaissances et de prestige, on s'allie aux immigrants venus de l’orient, arabes le plus souvent, navigateurs, commerçants, nobles fugitifs, missionnaires prosélytes...

 

Dès l'origine, l'expansion du monde swahili implique ainsi DEUX MOUVEMENTS, dont les forces, finalement, vont se conjuguer : d'ouest en est, d'abord ; mais aussi, du nord au sud… 

 

            Plusieurs groupes cultivateurs ba'ntou ont dû effectuer ce choix de la migration vers l'est, vers la voie maritime qui charriait les effluves des grandes civilisations riveraines. Chaque rencontre engendra une synthèse légèrement différente et  dont témoigne la variété des langues sœurs, à l'intérieur du rameau swahili. Ainsi s'expliqueraient la grande diversité du monde swahili et l'irrédentisme de chaque cité maritime, éclose à partir de ce qui n'était, à l'origine, qu'un simple village côtier.

            Selon la conjoncture du temps, les alliances nouées et les hasards de la navigation, chaque cité, jalouse et jalousée des autres, va connaître essor et déclin, sur le plan économique et culturel. Selon l'époque, le scintillement le plus intense se situera à Pata, Guédi, 'Amou, Mali'ndi, Mvita, Ou'ngoudja, Kilwa...  Mais, foncièrement, aucune cité ne se considérera jamais comme durablement et étroitement vassale d'une autre. La CITE-ÉTATsera toujours l'unité opératoire fondamentale, dans le domaine du jeu politique.

 

            Le monde swahili n'a donc pas de centre permanent et c'est artificiellement que les Britanniques ont décidé de faire  du ki-ou'ngoudja (la langue de Zanzibar) le swahili officiel.

 

            Quant au mouvement "vertical", favorisé par la direction des vents alternés de la mousson et de l'alizé, il se poursuit tout au long des siècles  et n'altère pas la personnalité swahili. En effet, la fondation des cités et l'ancrage au sol s'effectuent par le truchement de la FEMMEqui entretient avec les génies telluriques des relations secrètes dont dépend sa fécondité. L'homme, au demeurant nomade et polygyne, n'a ni la stabilité ni l'enracinement qui lui permettraient de pouvoir prétendre guider l'enfant à naître. Il ne fait qu'accompagner et implanter la femme dans un terroir où elle peut et doit germer, c'est-à-dire procréer. Dès l'origine, l'idéologie telluriste ba'ntou conçoit, par analogie, un MATRICENTRISMEsocio-politique qui repoussera, ou du moins équilibrera, toujours les affirmations hégémoniques de l'homme et du modèle arabes...

 

            Les rapports internes à la cité swahili ne sont pas moins complexes et problématiques que ne le sont ses relations extérieures. On a vu qu'elle étendait son emprise dans deux directions et chevauchait la mer et la terre ; elle se compose de CLANS, à peine spécialisés dans l'agriculture et la pêche dont ils troquent les produits ; il s'agit d'activités artisanales qui ne dégagent pas de surplus ni ne permettent d'accumulation mais assurent la survie des segments parentaux. Cependant, l'émulation, la vanité poussent certains clans à vouloir l'emporter sur les autres pour diriger la cité ; l'alliance durable de certains de ces clans ambitieux avec des forces extérieures leur permettra de mettre en place un système hiérarchisé, de type féodal, qui trouvera dans l'islamisme doctrinal un levier précieux.

 

De ce que tel ou tel clan ambitieux et opportuniste ait réussi à se hisser au sommet de la pyramide socio-politique, il ne suit pas que la cité swahili connaisse, alors, la tranquillité... En effet, à l'intérieur du clan, les PRINCES-COUSINSet les princes demi-frères, issus des sœurs et des épouses royales, se disputent l'honneur d'illustrer leur famille et leur cité. Chacun doit mobiliser ses partisans et rechercher, jusqu'à l'extérieur de la cité, des alliés susceptibles de lui permettre de l'emporter sur ses rivaux.

                       De toute manière, on ne saurait, légitimement, prétendre à diriger la communauté, sans réunir un certain nombre de CRITÈRESdécisifs de PRÉSÉANCE:

 

Þappartenir à la communauté (= être né d'une femme de la cité) ;

Þavoir une mère d'ascendance royale ou mohamédienne ;

Þavoir un père au lignage prestigieux ;

Þs'être acquitté de ses obligations coutumières envers la communauté, donc disposer de richesses abondantes ;  

Þjouir du droit d'aînesse vis-à-vis de ses compétiteurs ;

Þdisposer enfin d'un charisme personnel, compter de nombreux partisans, faire montre d'habileté manœuvri-ère, avoir de la réussite (baraka) dans ses entreprises...

 

            Pour une cité donnée, il se trouve toujours, du fait de la polygynie (= possession simultanée de 2, 3 ou 4 épouses), plusieurs aspirants qui peuvent, à bon droit, estimer satisfaire à ces critères et prétendre légitimement au pouvoir local. Appuyés chacun par leurs partisans, animés par l'idéologie féodale de l'honneur, requis par le souci de paraître et d’accumuler du prestige, ils n'en finiront pas d'en découdre... 

 

La vie politique de la cité consistera donc essentiellement, en  la LUTTE permanente des FACTIONS PRINCIÈRES.

 

 

 

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IV.    Les SWAHILI du LARGE.

 

            L'archipel des Comores constitue, sur le plan géographique, un pont formé de quatre piliers qui s'avance dans la mer et semble devoir servir de tremplin à ceux qui voudraient, à partir de la côte orientale d’Afrique, s'élancer vers Madagascar. (Voir Document 6 / carte / page 22.)

 

            Le monde swahili, quand il aborde dans la grande île et noue avec elle des relations continues qui dureront plusieurs siècles, n'est cependant plus tout à fait lui-même. Il trouve, dans les langues et les cultures malgaches, des interlocuteurs puissants. L'islamisation même des populations du nord de l'île ne suffit pas à faire entrer cette culture syncrétique dans le moule swahili, tel que nous l'avons défini plus haut.

 

            La population ou les populations qui habitent les Comores répondent bien, elles, à cette définition. Elles sont foncièrement swahili et ne sauraient être considérées comme extérieures ou inférieures à ce monde.

 

            Mais, il est vrai, les Comoriens ont un trait important qui les distingue, à l'intérieur du monde swahili et qui impose, donc, de discerner, dans ce monde, DEUX VARIÉTÉS PHYSIQUES: en raison de son éloignement et de son isolement au large, l'archipel dispose, contrairement au reste du continuum swahili, d'un "hinterland" (arrière-pays) très exigu. S’il fonctionne exactement à l'unisson de son alter ego, lui ne reçoit pas, du continent, les influences qui pourraient  renforcer sans cesse sa ba'ntouïté. Son littoral n'est pas celui du continent mais celui des îles.   Son “hinterland” n'est pas celui des plateaux est-africains mais celui, minuscule, de l'intérieur de chaque île. 

 

            Il s'en suit qu'il se fige assez tôt en un microcosme, à la fois original et représentatif de son alter ego, en une sorte de témoin et de vestige, artificiellement protégé des mutations récentes qui ont marqué l'autre monde swahili.

 

            Cette situation géographique et cette configuration topographique en modèle réduit  lui valent, en retour paradoxal et inattendu, de constituer une unité relativement homogène que l'Histoire moderne va favoriser et consacrer : il apparaît ainsi finalement, aujourd’hui, comme le seul Etat pleinement swahili, parmi les nations politiquement constituées et représentées dans les instances internationales…

 

            En effet, le découpage géographique des Etats africains, s'il suivait et servait les intérêts des puissances colonisatrices, devait, aussi, préserver les chances de vie et de survie économique des nouvelles entités politiques. Dès lors, c'en était fini de l'étonnant MONDE-LITTORALqui avait fonctionné, pour le meilleur et pour le pire, pendant deux mille ans, comme un tissu conjonctif et filtrant, entre les populations ba'ntou de l'intérieur et les nations riveraines de l'océan indien. 

 

La longitude (axe horizontal, parallèle à l'équateur) l'avait emporté sur la latitude (axe vertical, perpendiculaire à l'équateur).      Chaque Etat requérant une ouverture sur la mer, il fallait trancher dans le corps filiforme du monde swahili qui se trouvait, dès la fin du 19èmesiècle, tronçonné en plusieurs segments. Il perdait ses communications intérieures et beaucoup de son unité, en même temps que l'espoir de pouvoir, jamais, constituer un grand Etat moderne et unifié. Sans doute sa langue conservait-elle et même augmentait-elle son crédit, reconnue comme langue de communication et de culture internationales. Mais l'île de Zanzibar qui, seule, pouvait encore prétendre à la dignité d'Etat swahili moderne préférait et devait se fédérer avec le Tangagnika, pour former l'Etat de Tanzanie.

             Les Comoriens, ces Swahili du Largeet de la Marge, auront finalement été favorisés par l’Histoire (et la géographie)…

 

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V. TERMINOLOGIE, ONOMASTIQUE,  NÉOLOGISME.

 

            Avec le terme "swahili", on a vu combien l'analyse d'un simple mot pouvait être éclairante et féconde. Arrivé sur le seuil de l'archipel des Comores, il faut prêter attention à l'emploi des termes et des noms propres utilisés dans les discours. Ils sont, pour plusieurs auteurs, le moyen ou l'occasion de se fourvoyer eux-mêmes, ou d'égarer (délibérément ou à leur insu) les visiteurs les mieux disposés.

 

            Le nom arabe AL-KOUMR(devenu Komr puis Comores) désignait, à l'origine, Madagascar et ses satellites, Le mot, en lui-même, signifie “clarté éblouissante ” parce que les navigateurs arabes se guidaient, la nuit,  sur les Nuages de Magellan situés en plein sud, lorsqu’ils se dirigeaient vers Madagascar. Ils savaient être proches des îles du grand sud quand la tourterelle aux yeux cerclés koumriya venait se poser à leur bord… 

                Une arabisation plus récente et fautive a rapproché KMRde qamar = lune  et s'applique maintenant au seul archipel. Chaque Comore, cependant, a toujours eu son propre nom : soit, du nord au sud et d'ouest en est,

 

 

NGAZIDJA(pour la grande Comore)

MWALI(pour Mohéli)

NDZOU'ANI(pour Anjouan, Johanna pour les                              Britanniques)

MAORÈou Mawoto (pour Maïotte, finalement                  graphié Mayotte par les Français)

 

 

            C'est, ici, le moment et le lieu d'introduire un néologisme dont l'utilité apparaîtra plus loin : celui de KOMORO, pour désigner une entité, non plus seulement géographique, comme l'expression consacrée "les Comores", mais réellement politique. Ce terme, - porteur de l'idée d’unité - couvre une réalité qui, pour les populations de l’archipel, a pris forme et contenu, progressivement, dans l'Histoire, et devient un outil permettant d’atteindre à une compréhension plus fine et précise des réalités évoquées et étudiées dans cet ouvrage. Il complète, sans la nier, la dimension de diversité que suggère l'appellation purement géographique...  (Voir Document 7 / carte / page 26.)

 

 

 

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VI.Le RÔLE de la DÉMOGRAPHIE.

 

            Le polycentrisme (ou système de pluralité des centres), caractéristique du monde swahili, s'applique donc norma-lement aussi à ces Swahili du Large que sont les Comoriens. Chacune des quatre îles manifeste, effectivement, une forte personnalité. A cet égard, il est opportun d'insister sur deux traits, fortement classificateurs et différenciateurs, qui ont joué et jouent encore un rôle important, dans l'Histoire de chaque île et de Komoro :

 

            ce sont, d'une part, le coefficient de DYNAMISME DÉMOGRAPHIQUEde chaque île et, d'autre part, le DEGRÉ d'HOMOGÉNÉITÉ(qui dérive du premier trait) de chaque population îlienne.

 

            L'étude diachronique (= chronologique) de la démo-graphie de l'archipel, du moins depuis deux siècles, fait ressortir une différence frappante de comportement entre les îles  (Voir Document 8 / tableau / page 28.) :

 

Ngazidja et Ndzou'ani manifestent, à cet égard, un grand dynamisme, avec les avantages et les inconvénients qu'il implique. Maorè (jusqu’en 1975) et Mwali, elles, ont eu une démographie propre relativement stagnante.

 

On s'explique mal l'origine de ces différences. Il semble d'ailleurs qu'avant 1800, Mwali et Maorè aient été beaucoup plus peuplées, au point de rivaliser, sur le plan "militaire", avec les autres îles (même si les luttes n’ont jamais opposé une île à une autre île, comme on le fait croire).

 

L'origine biologique et géographique du peuplement de chaque île demeure largement conjecturale : 

* les Ngazidja, élancés, de haute taille, semblent provenir du nord de la zone swahili et s'apparenter, par la morphologie seulement, aux Galla (population non-ba'ntou, actuellement installée au nord Kenya) ; 

 

* les Ndzou'ani, plus graciles, sont de taille moyenne et d'aspect physique très différent, selon les régions de l'île : ils ont assimilé, à des degrés divers, les trois grands apports biologiques de l'océan indien : noir ba'ntou robuste, blanc arabe moyen, jaune indonésien gracile  ;

 

* les Mwaliet les Maorèsont, généralement, plus petits et trapus ; l'élément mozambique et makouwa paraît dominer chez les premiers, l'apport sakalava chez les seconds.

 

            Le biotope naturel pourrait expliquer, en partie, cette disparité du dynamisme démographique : les îles de Mwali et de Maorè, plus anciennes et érodées, ont vu leur sol volcanique se décomposer plus tôt, en un humus propice à l'agriculture, certes, mais aussi au développement des larves du paludisme et de la bilharziose. Et l'on sait que le paludisme porte atteinte à la fécondité de la semence génésique.

 

            Une autre hypothèse, aussi forte, pourrait invoquer les accidents de l'Histoire - Maorè plus proche de Madagascar, devait fatalement subir les expéditions bétsimissaraka de plein fouet -, ou des différences de mœurs politiques - on est frappé par l'âpreté meurtrière des luttes de factions, à Maorè - ou encore de comportements eugénistes - "Les femmes mohéliennes pratiquent le malthusianisme"(C.Poirier 1919)-... 

 

            Naturellement, une pareille disparité dans l'ordre démographique, ne pouvait qu’avoir une incidence sur l'Histoire interactive des îles. Les habitants des îles "surpeuplées" où, de plus, les terres fertiles étaient accaparées par les clans féodaux, devaient fatalement essaimer sur les îles moins peuplées où des terres restaient en friche. Ce fut bien le cas des Ngazidja et des Ndzou'ani à Mwali (où l'on trouve, même, une communauté d'origine maorè) et des Ndzou'ani surtout, à Maorè.

            Ces migrations ne donnaient généralement pas lieu à conflit, mais plutôt à des alliances, matrimoniales notamment, selon le processus permanent du renforcement local des clans, des communautés villageoises et des factions rivales...

 

            Un autre corollaire nécessaire fut la constitution, dans les îles déficitaires, d'un peuplement composite. Ainsi s'affirmait une autre différence, induite et seconde : les îles à fort dynamisme démographique faisaient montre d'une grande homogénéité sur les plans linguistique et culturel. En sens inverse, les langues des îles dominées, chi-mwali et chi-maorè, tendaient à s'étioler et à s'éteindre, même dans les familles "pures" où elles pouvaient subsister, plus longtemps...

 

            Les Ngazidja, par exemple, ont un système coutumier à la texture étroite qui requiert chaque individu et le contraint à une grande solidarité. Leur personnalité est demeurée d'une grande spécificité, fondée sur un matricentrisme systématique et spectaculaire en milieu islamique. De même, les Ndzou'ani, malgré une topographie compartimentée et un fort clivage en classes antagonistes, ont atteint à une réelle unité de mœurs, de valeurs et de comportements.

 

            En opposition, les deux îles sous-peuplées, Mwali et Maorè, présentent une mosaïquede communautés, avec des villages ngazidja et ndzou'ani, dans chacune, et, en plus, une importante minorité sakalava à Maorè. C'est, d'ailleurs, la colonisation agricole française qui a amplifié et rationalisé ces mouvements de migration - des îles denses vers les îles moins peuplées - en fonction de ses besoins en main-d'oeuvre...

            Dans ces conditions, où donc se situera la plus forte spécificité ?Dans les îles denses à forte homogénéité, comme Ngazidja et Ndzou’ani, ou dans les îles composites dont le tissus social est plus lâche, comme à Mwali et Maorè ?

 

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VII.  Le POIDS DÉTERMINANT 

de l’HISTOIRE.

 

            L'examen des événements dans leur vérité, étayé par les archives et documents existant, va nous permettre de faire justice d'un certain nombre d'allégations, de relever certaines omissions pudiques, de confirmer la validité d'autres propos...

 

            Le dialogue franco-comorien prend sa source plus tôt qu'il n'y paraît ; il s’est même étendu sur environ quatre siècles et demi, si l’on évoque notamment les escales à Ngazidja des frères Parmentier (1529), de J.Fronteneau (1547) et de Beaulieu (1620),  à Mwali de F. de Pyrard de Laval (1602) et  à Ndzou’ani de Mathieu de Gennes (1743), de Grose (1772), d’Avine (1802) et de Linois (1804). Mais nous nous contenterons d'aborder une période, plus récente et documentée :

 

          

 

   A >  1814-1914 :  

 

    L'IMPLANTATION GRADUELLE 

 DE   LA  FRANCE AUX COMORES

 

A/1.  De QUAND DATE 

l’INTÉRÊT FRANÇAIS  

 pour l'ARCHIPEL DES COMORES  ?

 

            Le contact noué avec Ndzou'ani avait été trop accidentel et peu prémédité, où furent déportés en 1802, 30 babouvistes, ennemis du premier Consul Bonaparte. La France était alors trop engagée à guerroyer contre son rival, le Royaume-Uni, pour songer à s'implanter sur un théâtre secondaire.

 

            Après sa défaite de 1814, c'est une France humiliée, privée de bases maritimes et avide de revanche, qui jette discrètement les yeux vers l'archipel des Comores. L'occasion en est, en novembre 1818, le voyage du Commandant T.Frappaz dont la mission consiste officiellement à se “rendre le plus tôt possible à Anjouan [Ndzou’ani]pour y prendre un chargement de cocos germés, destinés à la plantation des routes de Bourbon”. Deux ans auparavant, le Sultan Alawi (I) avait, en effet, écrit au Gouverneur de Bourbon pour l’engager à s’intéresser davantage à son île. 

                                                     Le Commandant Frappaz  rapporte une moisson de renseignements sur l’archipel, ruiné par les invasions bétsimissaraka, et ramène à son bord une ambassade ndzou’ani de quatre dignitaires, chargée de solliciter une aide militaire française.

 

A Bourbon, les idées  germent aussi ; le 25 juillet 1819, le Gouverneur B.Milius renvoie les “ambassadeurs” d’Alawi, munis de cadeaux  et porteurs de certains espoirs.

 

Les "INSTRUCTIONS SECRÈTES" qu’il remet au Commandant de la goélette du Roi, le "Lis", le 24 juillet 1819, sont significatives :

"M.Lelieur / appareillera, dès ce soir, pour se rendre à l'île d'Anjouan, dans le canal de Mozambique. // En quittant Anjouan, il visitera les îles Comore, Molali et Mayotte et, afin d'être bien accueilli des Arabes qui les habitent, il se fera donner des lettres de recommandation, par le souverain d'Anjouan. // Les Comores / se composent de quatre îles principales qui sont Mayotte, Anjouan, Molali et Comore. Anjouan et Mayotte sont / fréquentées par les navires de commerce de toutes les nations qui se rendent dans l'Inde, par le canal de Mozambique. // Nous avons besoin d'être fixés [sur leur fertilité et leur salubrité]avant de nous décider à former des établissements de culture, dans ces deux îles. // Nous le chargeons [Lelieur] d'explorer, avec soin, Anjouan et Mayotte. //

                         Les îles de Molali et Comore nous sont beaucoup moins connues. // M.Lelieur prendra / des renseignements positifs ;  / il est autorisé à leur donner [aux "chefs arabes"]des promesses verbales de la protection que nous leur accorderons, s'ils veulent prendre l'engagement par écrit de ne recevoir que des Français chez eux, pour y former des établissements de culture."                                       

                                                   [ADLR 56M15]

 

            De ce document, il ne faut guère tirer, sans doute, de certitudes objectives sur ce qu'était alors l'archipel. Du moins peut-on constater que, pour les milieux dirigeants de Bourbon dont l'intérêt s'étend visiblement à l'ensemble des quatre îles, les Comores constituaient bien une sorte d'ENTITÉ, sur le plan géographique sans doute, mais aussi un peu sur le plan humain, avec l'évocation de ces "Arabes" - en fait, nous l'avons vu, des Swahili, de lointaine et partielle ascendance arabe - qui entretiennent des relations d'île à île...

 

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       A/2. MAYOTTE / MAORÈ  

 EST-ELLE une COMORE  ou NON ?

 

            Si l'incursion française de 1819 n'aboutit pas, c'est d'abord que le Royaume-Uni, victorieux et tout puissant dans l'Océan Indien après 1815, veille au grain, contrôlant Le Cap, Antananarivou, Port-Louis et l'Inde. Ses navires sont d'ailleurs les plus nombreux en rade de Msamoudou, à Ndzou'ani. Cela fait plus d'un siècle, en effet, que les Britanniques transitent par Ndzou'ani pour rejoindre les côtes de l'Inde. Nulle surprise de les voir et savoir de plus en plus associés aux affaires intérieures de cette Comore, à partir de 1.800 notamment.

 

            Et lorsqu'à Maorè, la faction d'Oumar Aboubakar, alliée au Sultan d'Anjouan, l'emporte sur Ramataka, c'est un Anglais, l’aspirant de marine R.G.Addie, qui traduit et contresigne, le 19 novembre 1835, le TRAITÉd'ALLÉGEANCEde Mayotte au Sultan Abdallah II de Ndzou'ani

 

            Le Gouverneur de Maurice, W.Nicolay, envisage un moment d'annexer Ndzou'ani mais Londres y voit finalement plus d’inconvénients que d'avantages supplémentaires  et préfère s’en abstenir.

 

            Après la mort et la chute de ses alliés, Oumar Aboubakar est à la recherche d'une nouvelle alliance pour contrer, cette fois, les manœuvres du chef sakalava Andriya'ntsouli ; c'est alors qu'il pense aux Français dont les ambitions sont connues dans la région.

 

            Le 12 avril 1841, le Ministre Secrétaire d'Etat de la Marine et des Colonies, Duperré, opère la synthèse des renseignements en sa possession :

 

"L'île Mayotte, l'une des Comores, / constitue une position maritime et militaire supérieure à celle de Nossy-Bé. / Il ne s'agit pas d'une de ces îles qu'on peut considérer comme des annexes de Madagascar. Le groupe des Comoresforme une sorte d'archipel distinct où la France n'a rien possédé, à ce jour. // L'occupation d'un des points de cet archipel / pourrait / donner lieu, sous le rapport politique, à des difficultés, / aux réclamations [que] l'Imam de Mascate / pourrait élever, / sous le patronage de la Grande-Bretagne"    [ADLR 56 M5]

 

            La signature, par Andiya'ntsouli et le capitaine Passot, le 25 avril 1841, d'un traité de cessionde Mayotte à la France, ouvre, dans ces conditions, une période de manœuvres diplomatiques de deux années. D'autant plus que, depuis le 19 novembre 1835, aux termes du traité d'allégeance, les îles de Ndzou'ani et de Maorè paraissent former un ensemble solidaire, sous la direction des Sultans de Ndzou'ani, placés, eux-mêmes, sous la protection du Royaume-Uni.

 

            Pourtant, Louis-Philippe sera assez heureux pour ratifier ce traité de cession, le 10 février 1843, sans encourir les foudres de sa grande rivale ; une série d’événements favorables, en effet, est venue le servir : signature d'un traité franco-anglais, le 15 juillet 1840 ; renversement de la faction au pouvoir à Ndzou'ani  et fuite d'Alawi fils d'Abdallah II, en octobre 1840 ; victoire à Maorè d'Andriya'ntsouli sur les partisans de Salim, le nouveau Sultan de Ndzou'ani (en décembre 1840) ; stratagème ourdi par Oumar Aboubakar contre le chef sakalava (en août 1840) ; convocation de Passot à Paris pour éclaircissements sur l'ensemble du litige (en 1842) ; enfin, rapprochement de la France et du Sultan de Zanzibar, consacré par la convention du 21 avril 1843)…

 

            Malgré diverses réclamations qui d'ailleurs perdureront, les autorités françaises sur place peuvent donc pavoiser, d'autant que, selon P.Passot (en septembre 1843) :

 

"Le temps nous conduira à la possession detoutes les Comores,par le seul fait de l'influence qu'une grande puissance exerce sur de petits Etats."

 

            Le Gouverneur de Bourbon Bazoche confirme ce point de vue, le 12 janvier 1844 : 

 

"Ladépendance politiquede tout le groupe des Comores sera la conséquence inévitable du développement de notre colonisation à Mayotte et nous n'avons pas lieu de nous préoccuper de la convoitise des autres puissances européennes."

 

            Justement, le première société sucrière à obtenir une concession (de 2.000 ha) à Mayotte, en décembre 1844, et à se constituer officiellement, le 10 septembre 1845, à Nantes, prend pour nom … la "SOCIÉTÉ DES COMORES" !

 

            Mais les autorités britanniques dans la région n'ont accepté qu'à contre cœur l'implantation française à Maorè : en guise de réaction, Londres se décide tardivement à donner un tour quasi officiel à sa présence à Ndzou'ani, en y nommant, le 14 juillet (!) 1848, un "CONSUL DANS LES ÎLES COMORES"  en la personne de J.Napier... Les autorités françaises refusent, d’ailleurs, de reconnaître cette nomination qui, ainsi formulée, leur paraît une provocation : puisque Mayotte, elles le savent, est une Comore, le Gouvernement britannique voudrait-il exercer un droit de regard sur cette île ? Remettrait-il en cause le traité de cession de 1841 et l’appartenance de Mayotte à la France ? Un Consul du Royaume-Uni “à Johanna” n’aurait pas suscité la même opposition...

 

            On voit ainsi que, pour les deux plus grandes puissances de l'époque, l'île de Mayotte est bien l'une des quatre Comores. Mais leur approche va plus loin : elles semblent, toutes deux, reconnaître à ces îles une naturelle et culturelle VOCATION A L'UNITÉqu'elles se proposent, chacune de son côté, d'accomplir progressivement, pour en tirer sans doute quelque avantage...

 

 

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A/3.  Quel Type de RELATIONS 

 les ÎLES ENTRETENAIENT-ELLES,     

                              AVANT 1841   ?

 

            L'embryon d'Etat que les îles de Ndzou'ani et de Maorè semblent constituer, sur le plan territorial, de 1835 à 1840, ne saurait cependant faire illusion, même si, dans la première île, des institutions administratives existèrent périodiquement, avec une efficacité et un rendement aléatoires. L'allégeance de Maorè à Ndzou'ani demeurait largement verbale et formelle, selon le modèle polycentrique swahili. Les indices en étaient  :

   

       1° l'invocation du nom du Sultan suzerain, lors du prêche du vendredi à Dzaoudzi ;

       2° la dation d'une part des revenus sur les décisions judiciaires et les successions vacantes ;

       3° la remise d'une part sur le produit des naufrages à la côte.

 

      Car, sur le long terme, il n'est pas d'individu, de famille,  de clan, de ville, ou d'île  qui ne supporte avec impatience toute atteinte à son honneur et ne prenne ombrage de la moindre privauté prise à ses dépens ; imprévisibles et fréquents sont ainsi les renversements d'alliance dans un jeu politique où s'opposent et se superposent toujours deux CHAÎNES DE FACTIONS en conflit.

 

Entre 1830 et 1840, période la mieux connue, ces chaînes couvrent ainsi les trois Comores du sud. Selon cette loi des factions en lutte, la guerre n'oppose donc pas une île unanime à une autre île unanime, mais bien deux chaînes de factionscourant sur de vastes zones géographiques et dont les maillons constitutifs peuvent d'ailleurs changer, d'un moment à l'autre. (Voir Document 9 / tableau / page 40.)

 

 La faction vaincue ne se tient jamais pour définitivement éliminée mais va solliciter l'alliance de factions extérieures qui viennent, de plus en plus loin, pour la secourir et seconder. Les deux chaînes s'étendent ainsi jusqu'à Zanzibar au nord et jusqu'à Madagascar au sud…

 

Ce recours systématique à l'aide extérieure est significatif et démonstratif de la faiblesse des factionset des pouvoirs en place, caractéristique aussi d'un ordre socio-politique beaucoup moins hiérarchisé dans les faits que dans les esprits. Les puissances européennes considèrent, d’ailleurs, avec quelque mépris ces sociétés à structure pré-étatique et préféreraient avoir affaire à des interlocuteurs plus stables et fiables.

 

C’est ainsi que le Ministre français des Affaires Etrangères,F.GUIZOT,ne pense pas devoir s’adresser directement au “Sultan” de Mayotte : le 16 fev 1843, il écrit ainsi au baron Roussin : 

       "Le soin de [traiter avec]des personnages d'aussi peu de consistance, / par de simples approuvés administratifs, / au nom de Sa Majesté, / paraît / devoir être laissé à votre Département des Colonies /"...

 

 

 

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A/4.  POURQUOI les FRANÇAIS  S'INSTALLENT-ILS, D'ABORD,    

à MAORÈ / MAYOTTE  ?

            

            L'entrée des Français dans l'archipel va donc être facilitée par les caractéristiques mêmes du jeu politique auxquelles se livrent les factions. Mais on pourrait se demander pourquoi les Français, finalement, investissent Komoro par le sud, c'est-à-dire par Maorè, et non par une autre des îles Comores.

 

            A cela plusieurs raisons, dont la principale est, naturellement, la volonté formulée depuis 1642 et réitérée à maintes reprises de coloniser l'immense île de Madagascar, nommée significativement et dès 1668, la "France Orientale". (Voir Document 10 / carte / page 42.) La fin des guerres napoléo-niennes et les rigueurs de la défaite n'ont fait qu'accroître le désir de revanche et de compensation des autorités françaises : 

"La possession de l'île de Madagascar est / nécessaire à la France. // Madagascar a toujours été considérée comme un établissement français.”

Ministre de la Marine Du Bouchage 30 nov 1816

 

            Pendant deux siècles, les Français ne se sont intéressés, réellement, qu'à la côte orientale de la grande île, occupant subsidiairement les îles Mascareignes qui lui font face. Lorsque, finalement, les projets d'installation à Sainte-Marie et à la Baie de Diégo-Suarez s'avèrent trop compliqués, certains pensent à la côte nord-ouest de la grande île.

 

            C'est le cas, notamment, du Gouverneur de Bourbon (= La Réunion) L.De Hell :

 

"Nous ne pouvions réparer cette perte [Maurice]qu'en usant de nos droits sur Madagascar ; / notre prise de possession de Nossy-Bé / [n'est que]l'exercice d'un droit qui embrasse toute la grande île. // L'île Mayotte/ est un point maritime et militaire qui répondrait admirablement à [nos] besoins"                                         (13 février 1841) 

 

            De Hell renforce ainsi ses positions "tout en ne perdant pas de vue le but final : / notre domination sur Madagascar"(27 sept. 1841). Il a d'ailleurs communiqué au Ministère de la Marine et des Colonies  un projet qui vise à 

 

"rattacher étroitement la prise de possession de Mayotte à l'exécution d'un plan plus vaste, ayant pour objet la fondation d'un grand établissement à Madagascar. // Il s'agirait [ensuite]de marcher droit sur Tananarive, en partant de la baie de Bombetock"         (selon Ministre Roussin 16 fev. 1843)

 

            Il convient donc de prendre officiellement possession de Maorè, au plus tôt, afin de "surveiller les entreprises qu'une autre nation formerait" (Ministre Roussin 16 fev. 1843) et, aussitôt après, de fortifier la place. Car l'attrait qu'exerce l'île sur les militaires et la Marine française tient, non seulement à sa proximité d'avec Madagascar et à sa position stratégique, mais encore à sa configuration en lagon et enfin, à son faible peuplement. Aussi les rapports se font-ils élogieux :

 

Y "/ une citadelle imprenable au milieu des mers"            (V.Noël  avril 1843) 

Y "Dzaoudzi, de par sa position, / est appelé à devenir / l'arsenal militaire de la France dans la mer des Indes"           (Passot 20 juin 1843)

Y "l'île Mayotte sera le chef-lieu des possessions françaises, dans le voisinage de Madagascar"         

(Ministre De Mackau 19 sept. 1843)

Y     "Il existe, dans le groupe des Comores, une île dont la configuration est unique dans le monde entier"  (Commission ministérielle 

                              venue sur place, 29 mai 1844)

 

            Deux années de temporisation et de manœuvres diplomatiques permettent, finalement, à Louis-Philippe  de ratifier le traité du 25 avril 1841 et d'ordonner la prise de possession d'une île qui constitue un MAILLON ESSENTIELde la longue chaîne d'encerclement que pose la Marine française autour de Madagascar, le principal objet de convoitise, le "rêve récurrent de la France" (M.Serviable). L'arrêté du 29 août 1843 réunit d'ailleurs Mayotte, Noussi-Bé, et Sainte-Marie, sous l'autorité d'un seul et même "Commandant Supérieur de Nossi-Bé et dépendances"...

 

            Inchangée restera cette visée pendant 34 ans, ce dont témoigne aussi la remarque de Ruyneaud de St Georges, en 1861 :

"Mayotte n'a de valeur que comme acheminement à l'occupation de Madagascar. Une flotte pourrait s'y réfugier mais elle y serait bientôt affamée et forcée d'en sortir ou de capituler ; / aucun approvisionnement n'y est possible. // On ne peut isoler Mayotte de Madagascar //"

 

            Mais l'île, de par sa position, revêt déjà l'intérêt stratégique que l'on accordera à l'archipel tout entier :

         H.Cornu 1975 : "C'est pour protéger Diégo-Suarez et Nossi-Bé que la France a occupé Mayotte. Celle-ci commande, également, le passage maritime du Canal de Mozambique. ”

 

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A/5. QUELLES FURENT 

les CONDITIONS RÉELLES de

la CESSION de MAORÈ à la FRANCE ?

 

            Grâce à l'abondance de la documentation disponible, il est aujourd'hui aisé de savoir comment s'est réellement effectuée la transmission de l'île à la France.

 

            Pour remettre les données en perspective, il fallait et il faut partir du document essentiel que constitue le TRAITÉ de CESSIONdu 25 avril 1841. Dès son premier article, on peut constater qu'il contient des paradoxes et dissimule (mal) une supercherie :

 

Y"Le sultan Andriansouli cède à la France, en toute propriété, l'île de Mayotte qu'il possède, par droit de conquête et par convention, et sur laquelle il règne depuis 13 ans."

 

            Selon cette formulation, le roi sakalava aurait régné sur Maorè, depuis 1828 (ou 1829, d'après le comput swahili). Or, à la mort de Mawana Madi, en 1829, Andriya'ntsouli se trouve à Madagascar ; s'il envoie des troupes à son allié, le prince héritier Bwana-Ko'mbo, c'est pour permettre à ce dernier, fils du Sultan assassiné, de l'emporter chez lui. On peut donc difficilement croire et prétendre qu'il régnait sur une île  où il n'arrive d'ailleurs, pour s'y installer, qu'en juillet 1832. Tout au plus pourrait-on parler de partage de l'île, en vertu du serment du sang, passé entre Mawana Madi et le roi sakalava, en 1823, semble-t-il...

               

            Ce dernier s'empare du pouvoir, il est vrai, à la fin de 1833 et à la suite d'un conflit armé, au détriment de son ancien allié et protecteur, Bwana-Ko'mbo,. Mais, c'est pour le perdre dès 1834, au bénéfice du Sultan de Mwali. Dès lors, il n’est plus que le gouverneur à Maorè, successivement de Ramataka, puis des Sultans de Ndzou'ani  Abdallah II (à partir du 19 nov. 1835) et Alawi II (à partir d'avril 1836 et jusqu'au renversement et à la fuite de ce dernier, le 25 oct. 1840). 

 

          Or, la lettre par laquelle il annonce offrir l'île de Maorè à la France, date du 25 août 1840, époque à laquelle le souverain de Maorè, Alawi, est encore au pouvoir à Ndzou'ani. Il s'agit donc encore d'un stratagème de l'homme qui a rédigé et cette lettre et le traité de cession : le secrétaire d'Andriya'ntsouli, le louvoyant OUMARAboubakari. 

 

            L'article 8 rend d’ailleurs, curieusement et tardivement, hommage au véritable Sultan de l'île :

                           

Y"En considération des liens de parenté et d'amitié qui unissent le Sultan Andrian Souli au Sultan Alaouy, si ce dernier veut résider à Bourbon, Mayotte ou Nossy-Bé, il sera traité de la manière la plus favorable, par tout Commandant pour le Roi des Français." 

    

            Il apparaît ainsi qu'à cette date, Oumar Aboubakar ne considère plus Alawi comme son souverain, dans la mesure où celui-ci, assiégé depuis des mois à Ndzou'ani, n'est plus en mesure de lui venir en aide.

 

            Les articles 2,3 et 4 concernent, tous, le sort réservé au "Sultan" Andriya'ntsouli qui se voit attribuer par la France, "en retour de la présente cession, / une rente annuelle et viagère de 1.000 piastres".

                        

            Car le chef sakalava, servi par des guerriers solides, a su faire front à la faction adverse, menée par le chef malgache Andriya'nnavi. Depuis sa victoire du 15 sept. 1840, devant Ndzaoudzé,  et la fuite d'Alawi, le 25 oct. 1840, il est le maître effectif du pays. Il n'a aucune raison de céder une île qu'il vient de conquérir  de haute lutte. (Voir Document 11 / dessin / page 48.) 

                    Au contraire, il ne songe qu'à se renforcer en moyens matériels et humains pour expulser Andriya’nnavi de la baie de Bwéni où ce dernier s’est retranché. Alors même que Passot parlemente, son envoyé Alawi Ousséni vend des esclaves à Noussi-Bé et tente d’y acheter des armes...

 

            Il a donc fallu, en réalité, convaincre le chef sakalava de signer cet acte de cession en recourant à trois moyens : la ruse, la force et l'appât du gain. 

 

                      YLa RUSE, c'est l'arme du qadi Oumar Aboubakari qui, le 24 août 1840, profite du passage du navire de guerre français, la "Prévoyante", pour glisser dans le courrier d'Andriya'ntsouli au gouverneur de Bourbon De Hell  une offre impromptue de cession . 

 

                          YLa FORCEest entre les mains de la Marine française. A cet égard, les instructions données par le gouverneur de Bourbon (La Réunion) De Hell au capitaine Passot, le 13 fev. 1841, sont dépourvues d’ambiguïtés :

 

"Si, revenant sur son offre, Andriansouli opposait des difficultés à notre occupation de Mayotte, vous lui feriez comprendre les dangersqui pourraient résulter pour lui de nous tromper. // Vous emploiriez tous vos moyenspour le maintenir dans sa première résolution et lui faire signer l'acte de cession de l'île."

 

      Effectivement, il faudra, à P.Passot, plus de trois semaines de tractations, argumentations, pressions et menaces, pour venir à bout, en avril 1841, des résistances du chef sakalava...

 

                         YLa COMPENSATION, enfin, consistera en une forte rente annuelle qui ne consolera guère, semble-t-il, l'ancien roi sacré des Sakalava, brusquement réduit à l'inaction et à la condition de "prisonnier d'Etat" (selon l'expression du commandant britannique Fremantle, qui passe à Maorè, sur le "Vagabond", au mois d'avril 1842) : 

 

P.Passot (15 mars 1844) à Rang : " [envers] Andriya'ntsouli, / il a fallu [user d']une fermeté inflexible. Il en est résulté entre nous de l'éloignement./"

 

            L'abattement du roi sakalava transparaît dans les rapports des visiteurs et va l'amener à une mort rapide, le 26 sept. 1845. En juin de cette année-là, selon le Cdt du "Berceau", il n'était plus qu' 

        "un gros homme trapu au cou enfoncé dans les épaules qui, accroupi sur une natte, avalait son repas du soir. // En le voyant porter avidement à ses lèvres un énorme bol de tafia, nous nous expliquâmes l'air hébété et ignoble de cet homme, autrefois remarquable par son intelligence et son courage".

 

            Les deux derniers articles du traité concernent la propriété foncière et la justice, étroitement soumises au nouveau pouvoir exécutif français.

 

            Ainsi, contrairement à ce que l'on continue à dire, ce n'est pas Andriyana'ntsouli qui a cédé l'île de Maorè à la France, mais c'est bien, comme il fallait s'y attendre, la FACTIONdirigée par un des princes de la famille royale, OUMARAboubakari, lui-même secondé par des conseillers antalaoutsi et sakalava. 

 

            La faction adverse, inévitable, avait pour chef Andriya'nnavi et comprenait notamment Soultani, Said et Mohamed Swalih, d'une part, Mohamed Moumanga, d'autre part, tous descendants, eux aussi, de la famille royale et réfugiés à Ndzou'ani.

                       La tradition orale a conservé trace de cette opposition de l'époque, qui livre un récit comique où les donateurs de 1841, taxés d'ignorance, sont tournés en dérision et accusés d'avoir remis l'île sur un quiproquo linguistique...

 

 

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A/6.  POURQUOI  l'ACCORD   

 FUT-IL un TRAITÉ d’ANNEXION 

et  NON de PROTECTORAT  ?

 

            Du côté français, et historiquement parlant, il y eut toujours peu de différence entre les deux statuts, en raison d'une forte et longue tradition centralisatrice. La faiblesse même du peuplement de Mayotte, l'exiguïté du territoire, la rivalité des factions, la séparation en trois communautés (Maorè, Antalaoutsi, Sakalava), tout plaidait en faveur d'une solide direction militaire française, dans l'attente de la reprise du projet malgache. 

 

            L'annexion, dans ces conditions, allait de soi, d'autant qu'elle complétait le système militaire d'encerclementde Madagascar.

            Mais le choix est plus étonnant, du côté de la faction mahoraise donatrice. OUMARAboubakari fournit quelques indications, dans ses chroniques, sur l'exemple qu'il avait connu  pendant son exil à Ndzou'ani.

 

“Mieux vaut que le pays soit au Grand Sultan [Louis-Philippe]  Ainsi, nous pourrons bénéficier des bienfaits qui viendront aisément de son pays. Ne voyez-vous pas l'exemple des membres de la Cour Royale de Ndzou'ani qui ont suivi le Sultan des Anglais ? Ils sont comblés d'honneur, respectés et riches, et nul n'ose plus les affronter."[Chronique swahili, manuscrit Mohamed Djélani]

 

            Cependant, la présence et la protection britanniques à Ndzou'ani n'ambitionnaient pas de gouverner l'île ; Oumar Aboubakar savait bien, d'ailleurs, qu'elles n'avaient nullement empêché les développements néfastes de la longue guerre civile, de 1837 à I840, ni le renversement de son allié Alawi II.

            C'est peut-être d’ailleurs pourquoi il opta pour la cession complète de l’île à la France, menacé qu'il était par la montée en puissance d'Andriya'ntsouli et des Sakalava... 

 

 "le haut conseiller sakalava Abdou dit au qadi Oumar : Faites quelque chose, toi et ton cousin Mwénié-Omar Massulaha car Andriya'ntsouli veut vous tuer, vous et vos enfants. Il va déshonorer Maorè ! // [Effectivement] Andriya'ntsouli s'empara d'une grande partie de leurs biens. Les choses en étaient là quand la Providence envoya M.Passot à Mayotte."

 

            Avait-il à l'esprit, dans l'urgence où il était, la différence entre le statut d'annexion et celui de protection officieuse où vivait l'île de Ndzou'ani ? Si oui, considéra-t-il, en toute connaissance de cause et d'effet, que la cession était le seul moyen, apparemment, de figer l'Histoire et de mettre un terme au caractère meurtrier de la  lutte des factions à Maorè ? Cela reste partiellement une énigme. De fait, cette lutte va se poursuivre, mais de manière souterraine et relativement anodine, sous la chape plombée de la colonisation française...

 

 

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A/7.  POURQUOI la FRANCE 

 NE S'IMPLANTE-T-ELLE,

dans les AUTRES COMORES, 

  Que 43 ANS  PLUS TARD ?

 

            Puisque le principal objet de convoitise, en vérité, était Madagascar, la France aurait pu  ne se soucier que de la plus méridionale des Comores  et se désintéresser des autres...

 

            A vrai dire, le règlement du litige sur Maorè oblige déjà le Gouverneur de Bourbon, Bazoche, à envoyer aussitôt une mission à Ndzou'ani où le commandant Favin-L'Evêque obtient difficilement du sultan Salim, la signature, le 19 sept. I843, d'un acte de renonciation au trône de Mayotte. (Voir Document 12 / dessin / page 54.) Ce succès est obtenu en entrant dans le jeu politique traditionnel des factions, et en menaçant Salim de seconder son rival S.Hamza Abdallah. 

             

Gouv. Bazoche (27 mai 1843) à Passot "Vous ferez sentir au Sultan d'Anjouan que, dans la position précaire où il se trouve, son intérêt est de courtiser notre alliance, afin que nous ne prenions pas en mains la cause de son compétiteur."

 

            Mais cela n'est pas tout ! Telle est l'INTER-DÉPENDANCE DES ÎLES, sur les plans économique et humain notamment, qu'il faut aussitôt s'assurer des contacts avec celles du nord-ouest. 

 

            Ainsi, dès avant que l'administration française occupe Mayotte, comme elle prévoit d’y construire des fortifications et des casernes, elle doit se tourner vers Ngazidja.

 

Gouverneur de Bourbon Bazoche (27 mai 1843) à P.Passot : “immédiatement après votre installation / vous porterez votre attention sur les ressources que peuvent offrir Mayotte et les îles environnantes en ouvriers et en matériaux / Il paraît qu’il existe sur la Grande Comore une population ouvrière qui est dans les habitudes de s’engager pour aller travailler dans les îles voisines. ”

 

P.Passot (27 sept 1843) à Bazoche : "Comore peut nous fournir des boeufs, du bois et de la chaux / des ouvriers maçons, charpentiers et forgerons au prix de 1,50F par jour et des mains d'oeuvre en / grande quantité / au prix de 15F par mois."

 

            De même, les plantations sucrières vont aussitôt requérir la main-d'oeuvre de Ngazidja et de Ndzou'ani : le 22 oct. 1844, une dépêche ministérielle permet aux colons de Mayotte de recruter dans les autres Comores des travailleurs, libres depuis un an et y résidant depuis 2 ans. Ciret se rend ainsi à Mouroni, en janvier 1846. 

 

            Et le 27 mars 1846, le Conseil d'Administration de Mayotte décide, pour secourir Ngazidja frappée par un cyclone, de consacrer 1.500F à un achat de riz à ... Mwali !

 

            Par le jeu des alliances entre factions, les îles sont interdépendantes, sur le plan politique aussi : de manière caractéristique, les deux factions rivales de Ndzou'ani ont été liées, par mariage et successivement, avec le parti d'Ahmed "Mwigni-Mkouwou" de Mouroni, à Ngazidja. Et justement, ce dernier, aux prises avec Fou'mbavou de l'Itsandraïa, lance de tous côtés des signaux de détresse. C'est une conjoncture favorable que le Gouverneur de Bourbon avait anticipée :

 

Bazoche (28 nov 1843) à Passot :"Quant à la domination de Mayotte sur les autres Comores, elle sera la conséquence naturelle et inévitable de notre position // Je vous autorise à profiter des ouvertures qui / se présenteront pour passer avec ces chefs [de Mwali et Ngazidja] / des conventions qui placeraient ces îles sous la dépendance politique ou sous l'autorité immédiate de la France /"

 

            Les VISÉES POLITIQUESde la France sur les autres îles sont ainsi clairement formulées  et largement explicites. Les valeurs dominantes de l'époque (théorie militaire des "glacis" et doctrine économique de l'exclusif) devaient d'ailleurs fatalement l'amener à s'intéresser aux îles du nord immédiat, presque autant qu'à celle du sud :

Ministre Roussin (16 fev 1841) : "Il faut s'établir à Mayotte, avant qu'une autre puissance ne vienne s'en emparer."

"[Ce sont là] de petits Etats. Il faudrait, seulement, empêcher l'Angleterre de se les approprier."

 

Gouverneur Bazoche (27 mai 1843) à Passot: “Vous profiterez des occasions qui pourront se présenter pour entretenir les relations les plus amicales tant avec la jeune Reine de Mohéli qu’avec les Chefs de la Grande Comore et le Sultan d’Anjouan. Vous leur ferez connaître que le pavillon français au milieu d’eux sera un emblème de paix. // Vous direz à la jeune Reine de Mohéli que le Gouvernement Français est disposé à reporter sur elle l’intérêt qu’il avait constamment accordé à son père. ”

 

            Nulle surprise, dans ces conditions, de voir le capitaine Passot partir en reconnaissance vers le nord immédiat, moins de 6 mois après sa prise de possession de Mayotte au nom du Roi de France. Les deux séjours que Passot effectue à Ngazidja, du 6 au 14 nov. et du 20 au 28 nov. I843, à l'invitation de Ahmed "Mwigni-Mkou", puis, sa visite empressée à la Reine de Mwali, revêtent une certaine importance et montrent  bien, dès l'abord, que les militaires français ont convoité l'ensemble des îles Comores.

 

 

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            D'où vient, alors, que la France ne réussisse à prendre pied solidement dans les 3 Comores du nord qu'en 1886 ? Quels OBSTACLESa-t-elle rencontrés ?

 

            Il lui faut, d'abord, tenir compte de l'influencequ'exerce le ROYAUME-UNI, directement à Ndzou'ani, et indirectement à Mwali (par la biais de l'Imam de Mascate et Zanzibar). 

 

            Au centre de l'archipel, NDZOU'ANI(= Johanna en anglais) est, depuis trois siècles, le point d'escale et de rafraîchissement des navires britanniques qui se rendent du Cap en Inde. Victorieux de Napoléon, le Royaume-Uni a tissé un réseau serré qui couvre tout l'Océan Indien, après 1815 : du Cap à Maurice, d'Aden à Madagascar, de Zanzibar à Bombay, pour ce qui concerne l'ouest de la zone.

 

            C'est, d'ailleurs, la Grande-Bretagne, maîtresse incontestée des mers, qui intervient le plus vigoureusement pour faire cesser les expéditions de piraterie  qui ravagent l'archipel. L'article 4 du Traité du 23 oct. I8I7, passé entre R.T.Farquhar et le Roi Radama, précise :

 

"les parties contractantes conviennent mutuellement de protéger le Roi de Johanna, fidèle ami et allié de l'Angleterre, contre les déprédations auxquelles il est en butte depuis plusieurs années de la part des habitants des petits Etats, situés sur la côte de Madagascar, et de mettre tout en oeuvre / pour parvenir à l'abolition de ce système de piraterie. A cet effet, des proclamations seront faites //"

 

            Dès lors, l'installation française, au sud immédiat de Ndzou'ani, surprend et contrarie fortement les autorités britanniques dans la région, qui tentent, mais un peu tard, de réagir. Le 21 sept. 1842, le Gouverneur de Maurice, L.Smith, exprime le souhait

           "que les trois îles Comores [du sud] soient placées sous la protection britannique / ne serait-ce que pour empêcher qu'elles ne soient occupées par une puissance étrangère."

 

            Les chefs militaires, eux, manifestent ouvertement leurs craintes :

 Capt J.Grey (25 mai 1841) : "La possession par la France d'une île située si directement sur la route de nos vaisseaux indiens qui empruntent le canal de Mozambique, pourrait nuire gravement à nos intérêts."

 

J.Marshall (24 mars 1843) : "En cas de guerre entre nous et la France, l'île de Johanna serait pour nous d'une importance incalculable, si Mayotte était occupée par les Français comme la nouvelle en pourrait être annoncée, d'un instant à l'autre"

 

            Aussi, les réclamations, redoutées par le Ministre Duperré, ne tardent-elles pas à se faire jour, dès le I9 nov 1843 :  le colonel Staveley considère qu' 

                                  “Andriyantsoulou, étant un usurpateur, ne saurait avoir le droit de céder ou de transmettre aucune partie de cette île [Maorè] qui, d'ailleurs, a été placée sous la protection de la G-B, tant par l'actuel que par le précédent Sultan de Johanna."

 

Et le 27 nov 1843, le Gouverneur de Maurice, W.Gomm confirme : 

“Mayotte // est occupée par les Français, aux termes d'un accord passé avec un chef de Madagascar qui n'a aucun droit sur cette île."

 

            La diplomatie française doit se montrer active et minimiser la gravité du conflit. Sans doute, aussi, le ministère britannique des Affaires Etrangères se montre-t-il conciliant et ouvert à un compromis avec une France humiliée, à laquelle il faut quelques compensations de prestige. Mais, dans ces conditions, les autorités britanniques locales n'en sont que plus désireuses de renforcer leur présence à Ndzou'ani. Satisfaction leur est finalement donnée, le ... 14 juillet 1848, quand le Foreign Office de Londres  nomme un "Consul de Grande-Bretagne dans les îles Comores", poste occupé par J.NAPIER (1848-50) et, surtout ensuite, par le planteur et industriel de Pomoni, W.SUNLEY(1850-65). Ce dernier organise rapidement l'envoi de travailleurs locaux à l'île Maurice, pour le plus grand profit des Sultans Salim puis Abdallah III, attributaires d'une prime sur chaque engagé.

 

            Mais c'est, sans doute, le traité du 3 juin 1850, interdisant au Sultan de concéder des terres, sans le consentement de la Grande-Bretagne, qui stérilise vraiment toute velléité française d'installation à Ndzou'ani. La coopération entre les Anglais et les Ndzou'ani va encore se renforcer sous le règne du puissant ABDALLAH III(1855-91). Le Sultan, grâce à cet appui, s'engage sur la voie industrielle, installe sa propre usine sucrière dès 1863, bénéficie d'emprunt et de caution bancaires à Maurice où il est accueilli, en 1878, comme un véritable chef d'Etat ; il s'est enrichi au point de pouvoir envoyer des troupes à Ngazidja, à partir de 1880...

 

      Ainsi se trouvent partiellement justifiées les récriminations du recruteur de main-d'oeuvre Dutaillis, le 25 juillet I858 :

 

  "ce prince [Abdallah III], tout dévoué à la politique anglaise, n'agit que d'après les ordres du Consul de cette nation / [et invoque pour refuser] le traité passé par son père /"

 

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            Si la route de Ndzou'ani se trouve apparemment et momentanément fermée, celle de NGAZIDJAsemble largement ouverte. Accueilli chaleureusement par le sultan Ahmed, en nov. 1843, P.Passot y fait un premier séjour d'une semaine, au cours duquel il peut visiter, en boutre, toute la côte occidentale de l'île. (Voir Document 13 / dessin / page 61.) Cependant, il doit se rendre à l'évidence : une partie de ce territoire 

échappe au contrôle de son hôte. Et, qui plus est, le Sultan de cette région adverse se refuse à le recevoir, pour mieux marquer sa méfiance ou son hostilité...

 

            Même parmi les princes qui l'accueillent, l'entente n'est pas unanime, comme il s'en aperçoit, à son deuxième séjour à Mouroni, 6 jours plus tard : les propositions nouvelles dont il est porteur et qui ne concernent que les Ba'mbao, suscitent la méfiance de certains princes qui les repoussent...

 

            De 1845 à 1852, le conflit qui oppose Ahmed "Mwigni-Mkou" et Fou'mbavou Féfoumou, trouve sa projection dans un affrontement feutré entre les Commandants de la Station Navale française et le Sultan de Mascate et Zanzibar, S.Saïd.

 

30 janv. 18464Romain-Desfossés à Fou'mbavou : "Restez en paix avec vos voisins car / les Français sauront protéger les gens paisibles et sages contre les turbulents"

 

13 fev. 18464S.Said, Sultan de Zanz, à Romain-Desfossés "La Grande Comore est sous ma dépendance."

 

22 juin 18484Consul Napier : "Le chef Fou'mbavou est un homme intelligent et particulièremen t/ amical envers les Anglais. Il est en train d'affirmer, graduellement, sa souveraineté sur toute l'île"

 

7 juin 18504Cdt Station Navale Fébvrier-Despointes à Fou'mbavou : "Jamais S.Saïd n'acceptera que vous mettiez l'île sous sa protection. Il veut l'amitié et non l'inimitié des Français."

 

            La difficile victoire d'Ahmed, en 1852, vient favoriser les ambitions françaises en permettant aux planteurs de La Réunion et de Mayotte de s'approvisionner plus facilement en main-d'oeuvre à Ngazidja, pour le plus grand profit des Sultans de Mouroni.

 

            A la suite du passage de la Mission Dutaillis, en 1858, un agent de recrutement peut résider un an dans la capitale du Ba'mbao, en 1859. En 1864, enfin, Ahmed obtient une intervention militaire française qui règle un différend intérieur à son clan. De 1867 à 1875, il s'appuie en permanence sur le soutien français pour tenter d'enrayer la montée en puissance de son rival de l’Itsandraïa Msafoumou Féfoumou, ainsi qu’il apparaît dans l'affaire du Mboudé, notamment.

 

            Après la disparition du "Grand Seigneur", survenue en juillet 1875, la Station Navale française reporte sur son petit-fils, S.Ali, une alliance qui culmine et inclue les forces d'Abdallah III de Ndzou'ani, de 1880 à 1883...

 

 

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            Reste MWALI, où la lutte des factions semble ne pas sévir. Les Français peuvent, d'ailleurs, s'y prévaloir de leur alliance ancienne avec le Sultan rina, Ramataka, qui a régné sur l'île de 1832 au 9 avril 1841, date de sa mort.

 

13 fev 18414De Hell à Passot : "vous diriez à Ramataka que je ne perds pas de vue sa position intéressante et ses voeux, relativement à Madagascar / que notre occupation de Nossy-Bé tend à faciliter leur réalisation." 

 

            Car les militaires, abusés par les apparences, - la Reine est apparentée à la famille royale d'Irina -  vont employer à Mwali  une tactique plus appropriée, en fait, à la situation des hauts plateaux de Madagascar. Ils paraissent considérer Mwali comme un terrain d'essai, dans la perspective et l'attente d'une installation à Antananarivou.

 

            Le Chef de la Station Navale, Romain-Desfossés se montre donc plein de sollicitude intéressée  pour la toute jeune héritière du trône :

                        

"J'ai expédié M.Orcel  pour Mohelli avec ordre d'y commencer une reconnaissance hydrographique de la rade /[de] la partie méridionale de l'île. Je l'ai chargé / d'une lettre et d'un présent à la jeune Reine qu'il importe/ de nous attacher."                             

                                                     (28 oct. 1844)

 

            Il lui rend d'ailleurs lui-même visite, l'année suivante. La conjoncture paraît tellement favorable aux autorités françaises dans la région, qu'elles n'hésitent pas, en 1848, à placer auprès de la Reine, âgée de 13 ans, une préceptrice de langues rina et française, Mme Droit, rétribuée par le Gouvernement de Mayotte. 

             

            En 1849, le nouveau Commandant de la Station Navale procède, avec déploiement de 2 vaisseaux de guerre, et en présence du Père Jésuite Jouen, à une étonnante cérémonie : le couronnement officiel de la Reine Jou'mbé-Soudi, considérée comme majeure. Il affirme ainsi une tutelle qui, en fait, sera de courte durée.

 

            Dès 1851, se produit un revirement brutal, dû au choc identitaire imposé aux notables : sur le modèle malgache, on a voulu leur imposer une tutelle catholique, autant et plus que française. Le rejet se manifeste, sous la forme de l'empoisonnement et du renvoi de Mme Droit.

 

      Le parti catholique reviendra cependant à la charge en 1860 et connaîtra un bref triomphe en 1861, avec la déportation des gouverneurs de l'île, Ratsivandini et Abdallah Mouslim. Mais ce ne sera qu'un épisode de la lutte souterraine des factions, entre "parti français" et "parti arabe", dont les résultats provisoires peuvent se lire, de 1845 à 1878, sur les portraits de la Reine Fatouma, vêtue tantôt à l'européenne, tantôt à l'omanaise... (Voir Document 14 / dessin / page 66.)

 

            En butte à la méfiance et à l'opposition des notables de l'île qui, eux-mêmes, changent d'attitude, les autorités françaises connaîtront une alternance d'avancées et de reculs, malgré la redoutable puissance de feu dont ils font montre et parfois usage (1867, 1872).  Même l'installation en force de l'industriel Lambert, qui obtient de la Reine, en 1865, une étonnante charte et devient du jour au lendemain le principal propriétaire de l'île, n'est pas décisive. Les chefs traditionnels contraignent la Reine à abdiquer et, faute de pouvoir révoquer la convention Lambert, réussissent du moins à faire intrôniser l'enfant Mohamed, par les autorités de Zanzibar...

 

            La mort de Lambert, en 1873, marque à nouveau le repli du parti français, d'autant que sa propriété tombe, bientôt, sous le contrôle du ... Britannique W.Sunley !

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L'influence de la Grande-Bretagne et du Sultan de Zanzibar, ainsi que la traditionnelle lutte des factions princières  freinent donc toujours les visées annexionnistes des militaires français. 

 

Mais il faut tenir compte, également, de l'ALTERNANCEdes PHASES ACTIVISTESet ATTENTISTESde la politique extérieure française, dans cette région où Madagascar demeure le pôle d'attraction. Les relations internationales entre grandes puissances fluctuent, impliquent des contraintes, exigent parfois prudence et circonspection, connaissent des revirements imprévus...

 

            A cet égard, le Ministère français des Affaires Etrangères s'attache souvent à tempérer les ardeurs d'un Ministère de la Marine et des Colonies, d'un Commandant de la Station Navale ou d'un Gouverneur de Bourbon/La Réunion, délibérément offensifs et parfois même agressifs.

 

            Le 2 février 1841, le ministre français Duperré recommande au Gouverneur de Bourbon de "s'abstenir de toute intervention à main armée dans les affaires de Madagascar."

 

            Et pour plus de sécurité, il veille, dès le 29 août 1843, à lui enlever le contrôle des îles qui encerclent Madagascar  en constituant, par arrêté, une colonie autonome de "Nossi-Bé et dépendances" qui devient, par ordonnance du 10 juin 1844, la colonie de "Mayotte et dépendances". 

 

            Son Commandant Supérieur, Rang-des-Adrets, reçoit encore, le 29 mars 1844, des recommandations dans le même sens.    La visée qui avait présidé à l'occupation de Maorè s'obscurcit progressivement, à mesure que chaque instance établit la sienne : base stratégique à caractère défensif (pour le Ministre de Mackau, en mars 1845), colonie agricole (pour les planteurs et industriels du sucre), base commerciale (pour certains saint-simoniens de la Marine)...

 

            Le rapport du 7 mai 1850, établi par une Commission chargée d'examiner "la situation actuelle et le développement ultérieur des 3 îles, Mayotte, Ste Marie et Nossi-Bé" vient rappeler le principe et conclut à la nécessité d' "y conserver, sans aucune dépense, une position d'attente et d'observation de Madagascar."

 

            Sans doute ce rapport n'est-il pas lu  par le Commandant Bonfils qui exprime son désarroi, le 6 février 1852 : 

 

"comprenant peu l'utilité d'une semblable occupation / j'ai fini par me persuader qu'il existait une raison politique que je devais ignorer/"

 

            Mais les Commandants de la Division Navale, activistes par formation et attentistes par nécessité disciplinaire, traduisent exactement les élans et les piétinements de la politique extérieure et régionale. Les renversements de régime et d'orientation en France (1830, 1848, 1870), la tonalité des relations avec le Royaume-Uni et la complexe situation intérieure à Madagascar infléchissent chaque fois leur ligne de conduite, fixée de toutes façons par des instructions ministérielles. 

 

            Dissuadés durablement d'agir à Madagascar, ils se montrent de plus en plus actifs  à "Komoro"  où leur puissance militaire ne peut qu'impressionner les populations îliennes et susciter l'intérêt des factions rivales. Mais, sur ce terrain aussi, nombreux sont encore les conseils de prudence, émanant de Paris :

               au sujet de NGAZIDJA, le Ministre de la Marine se dit inquiet des "compétitions internationales dont la Grande Comore est l'objet"  (novembre 1883) ;

 

            à l'égard de MWALI, le Ministre d'Etat ROUHER, dans sa note du 13 sept. 1868, exprime le souhait que Lambert abandonne son statut de tuteur du Sultan, car cela "pourrait engager la politique française au-delà de la mesure qu'elle croit devoir observer". Il va jusqu'à proposer au colon une somme de 60.000P pour qu'il renonce à ses propriétés et quitte l'île !

                       Et le 15 dec. 1881, le Directeur des Colonies recommande toujours de "s'absten[ir] de toute immixtion dans les affaires intérieures de l'île, dans le but d'éviter toute réclamation de la part de l'Angleterre"...

 

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            Enfin, un autre aspect important - et qui concerne, non seulement les hommes de terrain, entrepreneurs et industriels implantés dans la région, mais aussi l'Administration locale et plus encore, le budget de l'Etat colonisateur - c'est celui de la main-d'oeuvre et du SORT DES ESCLAVES, dans les Comores.

            Les dirigeants français ne peuvent, en effet, demeurer trop longtemps en retrait sur les britanniques qui, après avoir interdit la traite des esclaves en 1817, ont aboli, en 1835, l'esclavage et son statut sur l'île Maurice qu'ils administrent.

            Aussi décident-ils l'abolition, à Mayotte, dès le 9 dec. 1846. L'opération, réalisée en juillet-août 1847, s'avère néanmoins onéreuse pour l'Etat français qui avait ouvert, à cet effet, un crédit extraordinaire de 461.000F. Encore la population esclave de Mayotte ne s'élevait-elle officiellement qu'à 2.733 individus, au recensement de février 1846.

 

            Prendre dans ces conditions le contrôle d'une autre, ou de plusieurs autres Comores, beaucoup plus peuplées en esclaves notamment, aurait impliqué à terme une opération de rachat ruineuse pour le budget français. Mieux valait pour l'Administration que les demandeurs de main-d'oeuvre, planteurs de Bourbon et de Mayotte, opèrent des libérations individuelles, à leurs frais (théoriquement) et au rythme de leurs besoins...

 

            C'est donc très tardivement que fut aboli l'esclavage, dans les autres Comores, devenues protectorats français : le 15 mai 1891 à Ndzou'ani et le 29 mars 1904 à Ngazidja.

 

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            Et cependant, en 1886, la France dont la visée est restée globalement inchangée, nous l'avons vu, parvient à s'assurer le contrôle des 3 autres Comores. C'est dire que, d'une certaine manière, les obstacles à sa progression ont été graduellement levés.  

              Deux données essentielles ont modifié la situation politique dans le sud ouest de l'Océan Indien : 

 

c'est, d'une part, l'OUVERTURE du CANAL DE SUEZ, inauguré le 20 novembre 1869, qui va permettre aux vaisseaux européens de relier directement l'Inde, par la Mer Méditerranée. La route du Cap de Bonne Espérance et du canal de Mozambique (et donc de Madagascar) perd beaucoup de son importance... Le Royaume-Uni, tout en conservant ses points d'appui dans la région, va vouloir se consacrer à ses colonies de l'est de l'Océan Indien. Aussi ne réagit-elle pas lorsque la France accentue sa pression sur la royauté rina, s'empare de force de Majunga et de Tamatave, impose même, à son adversaire, un sinistre traité de protection, le 17 dec. 1885.

             Et, d'autre part, c'est l'entrée en lice, en 1884, d'une TROISIÈME PUISSANCEeuropéenne, l'Allemagne, qui va s'implanter en Afrique orientale et contraindre la Grande-Bretagne et la France à se rapprocher et à clarifier leur position. La Conférence de Berlin, en 1886, scelle le règlement amiable de l'ensemble des problèmes territoriaux litigieux dans la région, par la répartition des zones d'influence exclusive : Zanzibar au R.U., Tangagnika à l'Allemagne, Madagascar à la France. Au sujet de Komoro, Paris reçoit même le soutien de l'Empire Allemand dont le Chancelier Bismarck convient, en mai 1885, que 

          "la présence de la France à Mayotte crée, pour ce pays, un DROIT DE PRÉEMPTION sur les 3 îles voisines."

 

            Et sur le terrain, s’affirme la progression continue de l'influence française dans chacune des îles :

 

 uà Ngazidja, l'activité des planteurs français, secondés par la Marine, se manifeste en 1858 (mission Dutaillis) et en 1859 (séjour du recruteur Coulon), enrichit considérablement Ahmed "Mwigni-Mkou" mais ne l'empêche pas d'être renversé. A sa mort, en 1875, le soutien français se reporte en totalité sur son petit-fils, S.Ali, grâce aux intrigues et aux relations de S.Omar. L'alliance avec le Sultan Abdallah de Nzou'ani et avec le Sultan Hachim Ahmed du Mbadjini, renforce aussi le jeune ambitieux qui triomphe enfin du redoutable Msafoumou, en janvier 1883. Si la rebellion de Hachim Ahmed menace de renverser S.Ali, en 1885, elle confirme et mobilise les ambitions françaises...Le traité du 6 janvier 1886 accorde donc normalement "une situation prépondérante au Gouvernement Français" !

 

uA Mwali, les chefs de l'île ont renversé les Sultans successifs qu'ils avaient intrônisés eux-mêmes et hors l’influence des Gouverneurs de Mayotte : S.Hamadi Mkadara, expulsé en 1859, Abdérahamani, assassiné en juin 1885. Et, dès le mois de décembre 1885, s'engage une guerre ouverte entre la faction "ndzou'ani" de Mohamed b. Chéhi (remplacé, ensuite, par Marjani) et la faction "malgache" de Mahmoud. La population ne peut sortir de cette situation qu'en recourant au juge arbitre français qui siège à Maorè... et en signant, avec lui, le traité du 26 avril 1886.

 

u  A Ndzou'ani, enfin, le Sultan Abdallah, au faîte de sa puissance en 1880, commence à pêcher par excès de confiance et par imprudence : alors même qu'il perd la vue, malgré une opération aux yeux en I879, il rencontre des difficultés financières aiguës. Endetté envers la Banque Orientale de Maurice, il est, de plus, empêché d'introduire les esclaves dont il tirait bon revenu par des accords passés avec le R.U. en 1873 et 1882. Il croit tout de même pouvoir enfreindre ses engagements et offre le concours de ses troupes à S.Ali de Ngazidja, moyennant paiement en esclaves. Si cela le rapproche du “parti français”, cela l'éloigne encore des Britanniques et du Sultan de Zanzibar. A la suite de la révolte de son frère Mohamed, il rompt avec son secrétaire et partenaire commercial, l'Américain B.F.Wilson qui en appelle à son gouvernement. 

 

            Finalement, le Sultan ne peut plus compter que sur les Français, ceux qui, précisément, étaient le plus à craindre, d’autant qu’ils détiennent dans leur jeu une carte en réserve : S.Omar S.Hassani. Lorsqu'Abdallah réalise enfin le danger, il est trop tard : complètement isolé, il est contraint de signer un premier traité léonin, le 21 avril 1886...    

            La France contrôle ainsi directement, en 1886, l'ensemble de "Komoro", bien que le statut juridique des Comores du nord  soit encore, sur le plan formel, différent de celui de la Comore du sud.

 

 

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A/8.  QUELLE IMPORTANCE 

FAUT-IL ATTRIBUER à ce DÉCALAGE             dans l'IMPLANTATION FRANÇAISE 

   à  KOMORO  (1843-1886)   ?

 

            On est donc fondé à se demander si ce décalage dans le temps a - ou n'a pas - séparé des autres, la première île colonisée, creusé un fossé entre elles et, notamment, modifié en profondeur la personnalité de Maorè.

 

            En effet, l'administration directe, par la France, va profondément marquer la société mahoraise. Du moins, le semble-t-il au Commandant Bonfils qui, même, le 6 février 1852, en est troublé :

      "C'est un mal, sans doute, au point de vue moral, que ce grand désordre apporté dans une société."

                 

            Le mode industriel de production introduit fatalement des modifications profondes dans les relations personnelles et sociales. Il s'accompagne ici de l'immigration de travailleurs, étrangers à la civilisation swahili : Mozambiques, Saint-Mariens, Réunionnais. 

            C'est aussi l'irruption de systèmes et de notions - technologisme, productivisme, christianisme, individualisme, dynamisme - qui pouvaient entamer les valeurs et idéologies en place - tellurisme, urano-féodalisme, islam, collectivisme, fixisme...

 

            Mais ces FACTEURS DE DIFFÉRENCIATIONsont moins actifs qu'il y paraît d'abord, contrariés en effet par d'autres éléments. 

                       Les modifications d'ordre idéologique touchent peu, en fait, les anciens maîtres de l'île, Maorè, Sakalava, Antalaoutsi, (dont certains préfèrent d'ailleurs émigrer dans les autres Comores, tel le prince Soultani fils du Sultan Swalih, réfugié à Mwali puis à Ngazidja.) et leurs enfants.  A cet égard, les féodaux de Ndzou'ani, confrontés à une conjoncture analogue, à partir de 1850, se montreront tout aussi allergiques à une logique technicienne, aisément endiguée par le conditionnement de l'école coranique.

 

            Le NOUVEL ORDREqui s'établit à Maorè s'accommode rapidement de l'existence de disparités et d’hétérogénéités dans l’île. Mieux, il parvient très tôt à les agencer, à les utiliser au mieux en une combinaison originale.

 

            Au sommet du nouvel édifice, sont les grands propriétaires et les fournisseurs de capitaux ; puis, les gérants, parfois actionnaires, qui assurent la marche de l' "habitation" et l'exportation des sucres produits ; les nobles féodaux se chargent du recrutement et de l'acheminement jusqu'à Maorè des travailleurs engagés ; les techniciens et cadres moyens, souvent venus de La Réunion, assurent le fonctionnement et la maintenance  des moulins et de la chaîne de production que constitue l'usine ; les contre-maîtres et chefs d'équipe, souvent des ouvriers promus, jouent le rôle de truchement ; enfin, la main-d'oeuvre non qualifiée, prolétaires introduits dans l’île, effectuent la trouaison, la récolte et le transport des cannes jusqu'à l'usine...

 

            Cette organisation embrasse rapidement Komoro tout entier, et même, reproduit le fonctionnement de la société industrielle dans tout le sud-ouest de l'Océan Indien. Chaque élément préexistant y trouve en effet une place conforme à une vocation ancienne ou nouvelle, et contribue à former un ensemble socio-économique inédit.

 

             Dans le cadre général de cette SPÉCIALISATION DES TÂCHES, que deviennent les nobles des trois communautés de Mayotte ? Maorè “historiques”, Sakalava guerriers, Antalaoutsi marchands, ils ont toujours détenu, et "traité" des esclaves du Mozambique, de Zanzibar ou de Madagascar. Ils poursuivent, donc, leur activité de fournisseurs de main-d'oeuvre et ne se distinguent pas, à cet égard, des Comoriens des autres îles. Dans chaque île, les classes sociales continuent à fonctionner comme devant et, à Maorè, où l'esclavage a été supprimé sur le papier, en 1846, on s'aperçoit que le notable Salim le fils d’Oumar Aboubakar, laisse à sa mort, vers 1890, plusieurs esclaves en héritage...

 

            Personnage symbolique et principal agent unificateur de Komoro, au 19° siècle, S.OMARS.Hassani, né à Ndzou'ani, réfugié à Maorè où il réside à Fou'ngoujou, propriétaire à Ba'ndamaji de Maorè (en 1861), s'intéresse de près à cette source de revenus qu'est le commerce de la main-d'oeuvre. Il préside, en 1859, à l'installation à Ngazidja du recruteur Coulon, et, le 10 octobre 1860, il s'engage par contrat à fournir au planteur de Maorè, Ménardière, 150 engagés qu'il doit aller quérir sur la côte africaine...

            Si les princes comoriens saisissent ainsi l’occasion de s'enrichir rapidement, par le commerce de la main-d’œuvre, c’est qu’ils aspirent toujours à se mettre en position de force, dans la permanente lutte des 2 chaînes de factions pour la prééminence, d'ailleurs illusoire, qui les occupe et préoccupe.

 

            Car le jeu interactif traditionnel se poursuit, à peu près inchangé, et s'étend, plus étroitement que jamais, à l'ensemble de l'archipel. Même à Maorè, sous administration coloniale directe depuis 1843, la CONTESTATIONsouterraine chemine. L'insurrection de 1856 semble bien réactiver le conflit de 1840,  entre parti sakalava et faction de Oumar Aboubakari. Car, la grève des engagés mozambiques ne devient insurrectionnelle que lorsqu'elle est relayée par Bakari Koussou, le chef sakalava, en liaison, peut-être, avec la faction de Soultani Swalih. Les "Arabes" qui volent au secours des forces de répression, envoyées sur la grand'terre, par le Commandant Vérand, ne sont probablement que les partisans d'Oumar.

 

            La contestation se poursuit, aussi et surtout, à l'extérieur de Maorè, avec les réclamations de Soultani et les démarches, auprès des Britanniques, de Mohamed Abdallah I et de Aboudou Alawi II. Ce sont, ainsi, les deux factions rivales de Ndzou'ani qui se réconcilient pour faire poids. Oumar Aboubakar doit dicter sa Chronique à S.Omar, en 1865, pour s'efforcer de contrebalancer leurs prétentions.

 

            Ce qui est nouveau, aussi, c'est le rôle de PLAQUE TOURNANTE, joué par Maorè pendant 43 ans, dans le mouvement d'annexion graduelle que les autorités françaises animent. La spécialisation relative des tâches se vérifie, également, dans les attributions données à chaque île : Maorè propose ses riches alluvions à la culture de la canne, Ngazidja lui envoie son bois, ses zébus et son abondante main-d'oeuvre (dont certains ouvriers qualifiés), Mwali fournit du riz et son réservoir permanent d’engagés africains introduits par la traite, Ndzou'ani dispose de travailleurs et de boutres... 

 

             Progressivement, les navires britanniques à destination de l'Inde, cessent de mouiller à Ndzou'ani où l'influence française se substitue à l'influence anglaise, si longtemps prédominante...

              

           Décidément, l'Histoire de Komoro avance en biais.  

 

                                (Voir Document 15 / carte / page 78.)

 

 

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A/9. La PÉRIODE  des PROTECTORATS  (1886-1914) 

MARQUE-T-ELLE  un TOURNANT,                                      dans l'HISTOIRE de KOMORO  ?

 

 

            En fait, les accords de 1886 prolongent  plus qu'ils ne rompent  la continuité de la progression de l'influence française dans l'archipel. Tout d'abord, ce sont des CONVENTIONS DE PROTECTION, assurant à la France un rôle prépondérant, plutôt que de véritables accords de protectorat. Mais la différence terminologique  - annexion, protection, protectorat - ne suffit pas à dissimuler une grande analogie  dans la situation des quatre îles,  à partir de 1886. 

 

            Les résistances à la domination française - qui, dans les "protectorats", s'inscrivent, en fait et encore largement, dans le cadre de la lutte des factions locales - trouvent même, on l'a vu, un équivalent dans la colonie de Maorè, avec la rébellion de 1856. 

                       On s'en persuadera aisément en remarquant que les 3 protectorats relèvent immédiatement, non pas du Ministère français des Affaires Etrangères, mais bien du Ministère de la Marine et des Colonies. Les traités de 1886 ont en effet  constitué des ACTES DE DROIT COLONIAL(J.Martin t.2 p.50-51) et non international. On retrouve, ici, la marque du mépris affiché traditionnellement par les grands Etats centralisés  envers les nations peu organisées sur le plan administratif.

             Cependant, il est vrai, s'ouvre en 1886 une page importante de l'histoire des 3 Comores du nord et de l'archipel entier. Cette période de transition, de plus de vingt-cinq années, sera riche en événements et marquée par des convulsions, des effondrements, des reconversions, avec déjà l'amorce d'un processus d'unification et de centralisation, sous la houlette de la France ou, parfois même, contre elle.

 

            Les CONVULSIONSproviennent d'affrontements, entre les factions rivales, toujours, mais aussi, entre faction comorienne dominante et autorités françaises dans la région.

 

            Dans le premier cas, ce sont, à Ngazidja, les mouvements de résistance à S.Ali : celui du Sultan Hachim, en 1886 et en 1889, et celui des princes Itsandraïa et Ba'mbao, en 1890 et 1891. Et à Ndzou'ani, c'est la guerre civile à “double foyer” de 1891, guerre aristocratique de succession à l'origine.

 

            Dans le second cas, la source réside dans les malentendus entre Comoriens et Français, au sujet des conventions signées dans l'ambiguïté. Non seulement le texte de ces accords est traduit très imparfaitement, en swahili composite (de Zanzibar et des Comores) mais, encore, la rédaction française demanderait une exégèse. Tout se passe comme si l'Administration française ne dévoilait que progressivement ses volontés réelles, après les avoir masquées, partiellement, pour ne pas inquiéter les populations locales. 

 

            L'indice le plus net en est l'exigence d'installer, dans chaque île, un RÉSIDENT DE FRANCE, alors que nulle mention n'en est faite dans les conventions. Le Sultan de Ndzou'ani, Abdallah III, est encore assez puissant pour s'y opposer, un temps, mais la politique de la canonnière viendra à bout de ses résistances.

 

            Il y a, aussi, une incompréhension qui tient à la culture de chaque peuple : les dirigeants comoriens, des aristocrates féodaux, sont disposés à faire allégeance à la puissance française, en échange d'une protection pour leur faction et d'une amélioration de leur sort matériel, mais ils conservent le sentiment très vif de leur rang et des égards qui leur sont dus.

 

            Les militaires et administrateurs français, au contraire, ont une conception étatique et centralisée des hommes et des peuples. Ils assimilent l'allégeance à l'obéissance.

 

Cdt Bazoche (25 juil 1843) à Morel, Cdt Noussi-Bé : "tout chef, quel qu'il soit, qui s'écarterait de nos intérêts  devra être immédiatement cassé et destitué de toute autorité  dans sa tribu et, au besoin, envoyé à Bourbon"

 

            Ils ne donnent, d'ailleurs, pas de contenu nettement distinctif aux termes de colonie et de protectorat, particulièrement lorsque les peuples en cause sont à un stade rudimentaire d'organisation. Il est bien entendu, pour eux, que protection et protectorat sont des étapes sur une voie, directe et irréversible, menant à l'annexion.

 

            Ils sont rapidement amenés à étayer les conventions de protection de 1886 par des actes contraignants d'organisation administrative  qui, à dater du 6 janvier 1892, dissipent toute ambiguïté et affirment ce CARACTÈRE FICTIF DES PROTECTORATSque tous les auteurs ont souligné.

 

            L'institution de l'impôt de capitation et l'essai d'introduction de la monnaie, dans des sociétés éminemment collectivistes et parentales, dont l'économie repose sur le troc et l'échange de dons et de services, constituent une autre source d'agitation et d'agressions pour les habitants. L'objectif poursuivi n'en est pas compris, d'autant qu'il consiste aussi à rétribuer des fonctionnaires français et des princes déchus de leurs droits... Les méthodes expéditives employées pour lever l'impôt donnent d'ailleurs lieu à des spoliations dont sont victimes les aristocrates et à des humiliations qui frappent les roturiers. Les refus, individuels et collectifs, d'acquitter cet impôt et les répressions qui les sanctionnent alimentent les troubles et les résistances, pendant cette période et même au delà.

 

            La situation est d'autant plus confuse que se fait sentir l'influence d'une quatrième instance: outre la faction dominante et la faction dominée, outre l'Etat Français (et ses représentants civils et militaires), se manifestent bientôt les intérêts particuliers des planteurs, industriels et financiers. Ce sont L.Humblot et C.Legros à Ngazidja, R.Sunley et L.Humblot encore à Mwali, B.Franklin, G.Esson, les Ormières, Plaideau, Bouin et Regouin, Mocquet, à Ndzou'ani...

 

            L'apparition de cette bourgeoisie industrielle, commerciale et financière, oblige les autres classes sociales à se définir et à se reconvertir ; les sociétés coloniales tendent et réussissent, avec l'aval de l'Administration, à accaparer les terres productives et, donc, à en priver les lignages royaux et nobiliaires, surtout à Ndzou'ani. 

 

            En revanche, les industriels s'accordent aisément avec les nobles lorsqu’il s’agit pour eux de prendre à loyer leurs esclaves ou de rétribuer leurs services comme recruteurs de main-d'oeuvre. Cependant, l'importance même revêtue par la question des travailleurs - que les planteurs et usiniers se disputent - donnent aux esclaves et aux roturiers la conscience de leur rôle dans le nouvel équilibre qui s'instaure.

 

            C'en est au point que la guerre civile de Ndzou'ani prend rapidement, de mars à juin 1891, à la mort d'Abdallah III, le caractère d'une guerre de classes ; aux propriétaires qui s'opposent à l'abolition de l'esclavage, débattue depuis des années, les insurgés répliquent par le sac des villes aristocratiques de Msamoudou et Domoni.

 

            Tour à tour alliés et adversaires d'une faction nobiliaire, des travailleurs engagés, et même de l'Etat Français, les colons européens et assimilés ajoutent donc aux convulsions, dans leur effort pour promouvoir ou défendre leurs intérêts particuliers : c'est ainsi que l'Administration française se trouve aux prises, pendant plusieurs années, avec L.Humblot (jusqu'à l'arrêt du Tribunal Civil de la Seine, le 10 juillet 1912), et avec B.F.Wilson (jusqu'à la sentence arbitrale Lucas-Frenaud du 30 novembre 1906). 

 

            L'irruption de cette nouvelle classe d'entrepreneurs concourt, puissamment, à l'EFFONDREMENTqui atteint le monde féodal comorien, à la fin du siècle.

 

            Car, c'est tout l'ordre féodal qui s'écroule, par pans entiers, en une dizaine d'années, dans les deux îles où ses assises étaient les plus puissantes. Les luttes de factions qui s'étaient transformées en guerres meurtrières à partir de 1880, avaient déjà sensiblement affaibli les familles et clans royaux. L'entrée en jeu des sociétés coloniales, jouissant souvent de l'appui administratif, leur enlève de vastes domaines (qu'ils ne savaient ni ne pouvaient réellement mettre en valeur, il est vrai), surtout à Ndzou'ani et Mwali.

 

            L'émancipation des esclaves, sans indemnité pour les maîtres, telle qu'elle est officiellement proclamée, en 1892 à Ndzou'ani et en 1904 à Ngazidja, les atteint aussi dans leurs intérêts économiques vitaux. 

 

            La révolte des esclaves, coalisés avec les paysans des hauts, en mars 1891 à Ndzou'ani, ne leur laisse guère d'illusion sur leurs chances de conserver plus longtemps le rôle dominant qu’ils occupaient depuis des siècles. Finalement, ils sont touchés jusque dans les symboles de leur supériorité héréditaire, quand le Résident-Colon Humblot leur confisque leurs sabres et leurs fusils, en septembre 1891, à Ngazidja. 

 

            La figure emblématique de cette déchéance demeure celle du Sultan le plus puissant, semble-t-il, de l’Histoire des Comores, ABDALLAH III. Reçu en grande pompe en 1879-80 à Maurice par les autorités britanniques, il est bientôt après frappé de cécité, criblé de dettes, menacé de renversement par ses frères, contraint de céder aux exigences françaises et, après la prise du palais (en mars 1887), de signer des accords léonins (en octobre 1887), toujours soumis enfin à l'agitation des esclaves qui attendent leur libération... (Voir Document 16 / photographie / page 85.)

 

            Parallèlement, la fin du siècle voit s'effondrer aussi, l'économie et les unités de production du sucre, entraînées par la chute des cours mondiaux de ce produit, après 1885. Les usines ferment à Maorè surtout, mais aussi à Ndzou'ani et Mwali...

 

            L'heure des RECONVERSIONSa donc sonné, tant sur le plan économique pour les colons et planteurs, que sur les plans politique et idéologique pour l'aristocratie comorienne en péril. L'échec ou le recul industriel donne cependant  à celle-ci une chance qu'elle saura saisir. Mais, pour l'instant, elle est en proie au doute et à la critique des forces "populaires" (esclaves affranchis, roturiers des campagnes et des villes).     

            Las des guerres meurtrières qui ont opposé S.Ali à Msafoumou, le peuple de Ngazidja et notamment les ennemis d'hier, Ba'mbao et Itsandraïa, voient apparaître, sorti de leurs lignages princiers, un couple de lettrés mystiques - ABDALLAHDarwèche et S.MOHAMEDChéhi - qui sont retournés aux sources et dont l'influence conjuguée va progressivement réformer en profondeur la société comorienne tout entière.  

 

            A l'islam féodal fauteur de guerres, celui de la lettre, de l'ordre inéluctable et implacable, de l'inégalité et du mépris, va ainsi se substituer un islam plus proche de l'esprit, plus fraternel et chaleureux, plus égalitaire, dépouillé de ses fastes, oublieux des origines sociales de ses adeptes, autant qu'il est possible à l’époque. Les CONFRÉRIESreligieuses, formées sur le modèle de celles de Syrie, gagnent assez rapidement de l'influence dans les îles et rassemblent des fidèles toujours plus nombreux, pour des exercices corporels et spirituels absorbants et exigeants. 

 

            La classe féodale ne peut ignorer cet engouement, alors même que, privée de pouvoir et d'initiative, déchargée de responsabilités, elle doit investir sa disponibilité nouvelle. Elle continue certes à entretenir les cahiers de généalogie qui fondent sa suprématie “de droit”, elle s'essaie, surtout à destination des autorités françaises, aux fresques historiques qui rapportent la geste de leurs parents et ancêtres (c'est le cas de S.Bakari Ahmed et d'Abdoulwatif Msafoumou). Elle défend en justice, contre les colons prédateurs, ses droits fonciers ancestraux. Mais elle entend aussi demeurer à la tête d'une idéologie islamique  dont elle a si bien su se servir, par le passé.

            On ne s'étonnera pas, dans ces conditions, de voir, en 1888, le Sultan aveugle ABDALLAH III diriger la prière des Chadouli à Ba'mbao-la-mtsanga. Mais, auparavant, avec l'agrément de S.Mohamed, il a pu faire emprisonner le maître de la confrérie à Ndzou'ani, Chéhi Swalih de Wani, qui proposait de réaliser la communauté des biens entre les adeptes. Il est bien entendu, pour les féodaux, que l'égalité doit être confinée aux lieux de prière et de danses rituelles !

 

            Princes et nobles vont d'ailleurs, souvent, réussir à conserver le haut du pavé, en tirant profit des conflits surgis entre colons et Administration des protectorats, en nouant des alliances implicites avec des Résidents et Gouverneurs locaux, en mettant leurs fils à l'école de la langue française pour qu’ils puissent jouer le rôle de truchement, en conservant des avoirs fonciers parfois vastes (c'est le cas du clan Mdo'mbozi à Ngazidja), en se faisant accorder des pensions compensatoires et des postes officiels, en employant leurs esclaves affranchis, faiblement salariés, à des cultures d'exportation - telles la vanille ou le girofle - qui n'exigent pas l'investissement d'un gros capital... 

                       En fin de compte, la classe nobiliaire, malgré sa reculade forcée devant les ferments extérieurs et intérieurs, se maintient remarquablement et, surtout, conserve la direction idéologique des îles, en composant avec le message nouveau, plus égalitaire, du soufisme confrérique. Ce dernier, qui est apparu 3 siècles après la Révélation mohamédienne, a toujours suscité la méfiance des docteurs de la loi et de la lettre islamiques, pour le dépassement des formes et des rigidités dogmatiques que ses inspirateurs mystiques se permettaient. Aussi ces novateurs ont-ils toujours pris soin de ne jamais s'attaquer à la lettre de la doctrine, alors qu'ils s'efforçaient d'en faire saisir l'esprit. Le maître de la synthèse, à jamais, en demeurera AL RAZALI (1.058-1.111).

 

            Le principe hiérarchique de la supériorité héréditaire et pré-écrite s'est ainsi trouvé conforté et illustré par le statut conféré à certains élus, les lointains descendants du Prophète, que l'on nomme, à Komoro et dans tout le monde islamique, les CHARIF. Ils sont censés avoir hérité quelque chose de la faveur divine, abondamment échue à leur ancêtre fondateur, et jouissent à ce titre de diverses prérogatives. Les grandes familles nobiliaires ont pu s'engouffrer dans cette perspective  et soutenir l'idée que, leur filiation prenant sa source en Arabie, elles avaient vocation légitime et permanente à diriger la société civile. 

 

            Elles ont d'ailleurs profité de ce que le peuple comorien, tout entier, pouvait maintenant trouver place dans un monde enfin sorti de l'ère de la sagaie, devenu plus homogène et fraternel, que les confréries religieuses modelait patiemment dans le sens de l'unité. La fin du féodalisme et la période des protectorats fictifs entamaient et enclenchaient ainsi un PROCESSUS d'UNIFICATIONqui allait progressivement gagner tout l'archipel.

 

            4Sur ce plan socio-idéologique, l'action des confréries - chadouli, qadiri, rifaï - suscitait un nouvel intérêt pour la lettre du Livre et pour l'accession des exclus à l'enseignement coranique. Les seigneurs féodaux, dans leur souci de protéger leur rang et leurs privilèges, interdisaient aux immigrants de porter, non seulement le sabre et le poignard mais aussi la toge, la coiffe et les chaussures. Pour jouer convenablement leur rôle, les esclaves devaient consentir malgré eux à n'être plus vraiment des hommes. Leur accession à la religion du maître eût fait d'eux, à beaucoup d'égards, des égaux en droit et donc menaçait l'ordre socio-politique. C'est paradoxalement l'implantation française qui permet indirectement l'essor des confréries et, par suite, la coranisation du grand nombre par des répétiteurs dévoués, bien que d'un faible niveau d'instruction. La doctrine mystique couvre rapidement l'archipel et va s'implanter jusque dans le nord de Madagascar...

 

            4Sur le plan administratif, les îles sont maintenant gouvernées à partir de Maorè  qui confirme son rôle et son statut de "soeur aînée", selon l'heureuse expression de T.Michalon. Le décret du 5 septembre 1887 décide ainsi d'instituer un poste de Gouverneur à Mayotte, pour conférer plus d'autorité au Représentant de la France, appelé à exercer son influence sur les protectorats. De 1886 à 1891, les frais d'administration des 3 sultanats protégés sont d'ailleurs mis à la charge du budget de Mayotte.

 

            Des essais de décentralisation et d'organisation des protectorats sont, il est vrai, tentés à partir de 1892. La dépêche ministérielle de mars 1898 restreint même les pouvoirs d'intervention du Gouverneur de Mayotte dans les affaires des îles voisines. Mais ils se heurtent à la faiblesse des moyens financiers disponibles et aux charges qu'imposent les pensions, versées aux Sultans déposés et à leurs ayant-droit.

 

            On essaie, également, de fondre l'ensemble comorien  dans des colonies plus solvables ou mieux organisées, telles La Réunion ou Madagascar récemment investie. Le décret du 6 juillet 1897, portant organisation des "possessions françaises des Comores" place ainsi "Mayotte et dépendances" sous l'autorité du Gouverneur de La Réunion. Mais d'autres obstacles se dressent alors :

 

Gouverneur de La Réunion Beauchamp (31 juil 1896) à Ministre : "Avec la difficulté des communications, mon action sur ces îles est complètement impuissante // Mon interposition entre le Département et les Comores est même, parfois, une entrave / dans l'expédition des affaires //"

 

            Finalement, le décret du 9 sept. 1899 rétablit l'autonomiede l'archipel et la centralisation comptable, en plaçant celui-ci sous l'autorité d'un Gouverneur de Mayotte, assisté d'un Secrétaire Général et d'un Conseil d'Administration, et représenté dans les Protectorats par un Administrateur. 

 

            C'est - très normalement - l'instance judiciaire française qui, à partir de 1904, va remettre de la logique dans la confusion ambiante. C'est elle qui perçoit le mieux l'irréductiblespécificitéet l'inéluctable unitéde l'archipel. C'est elle qui, par ses décisions, accélère le processus d'unification administrative en cours :

 

         Y l'arrêté du 24 janvier 1904 organise l'enregistrement des actes de l'ÉTAT-CIVILdes indigènes de l'archipel, avec effet à compter du 1 janv. pour Mayotte et du 1 août pour les protectorats ;

 

            Yle décret DOMERGUE du 5 novembre 1904 supprime les tribunaux mixtes des protectorats et étend la compétence du Tribunal  de Première Instance de Mayotte à ces derniers ; la Cour d'Appel compétente sera celle de Madagascar.

 

            4Sur le plan économique, les pouvoirs publics encouragent plutôt, en général, la grande colonisation et la constitution de vastes domaines coloniaux : cela est particulièrement sensible à Ndzou'ani où les associés Bouin et Regouin  obtiennent de l'Administration location à bail des deux domaines de Ba'mbao (6.286 ha) et de Pomoni (5.000 ha). Moquet fait mieux encore, en achetant, le 12 fev. 1900, pour une bouchée de pain, tout le sud de l'île, soit les 12.000 ha du Nioumakélé, considérés apparemment comme un désert !

 

            L.Humblot, lui, n'a eu besoin de personne pour se tailler un petit empire foncier qui mord largement sur Ngazidja (52.080 ha) et sur Mwali (5.134 ha en 1902). Même à Maorè, moins peuplée, où la petite colonisation a eu sa chance, la crise du sucre entraîne une cascade de faillites et permet le retour au domaine public d'une  partie des terres. Mais cela n'entrave pas l'essor d'un processus de concentration foncière qui s'étend à tout l'archipel, pendant la période 1886-1912.

 

            C'est la Société Coloniale de Ba'mbao, fondée en 1907, autour de Bouin, Regoin et Chiris qui incarne le mieux cette évolution et, à partir de sa base de Ndzou'ani, s'implante à Maorè (1.I54 ha à Ko'mbani) en 1907, puis à Mwali (rachat du domaine Humblot) en juin 1912. Le parfumeur de Grasse Chiris est d'ailleurs élu, en juin 1912, "Délégué de Mayotte et des Comores"  au Conseil Supérieur des Colonies.

 

            La constitution, en cours, d'un ensemble économique comorien accélère l'intégration humaine, par des mouvements réguliers de la population ouvrière des îles "surpeuplées", Ngazidja et Ndzou'ani, vers les propriétés et usines demanderesses de main-d'oeuvre, à Mwali et Maorè. Et l’arrêté du 25 janvier 1902 soumet les engagés au régime du travailobligatoire.

 

            4Sur le plan de la politique extérieure, les protectorats n'ont jamais cessé de dépendre, en fait, du Gouverneur de Mayotte, dans la mesure où l'Histoire ne peut jamais s'affranchir totalement de la géographie. Mais le pouvoir colonial français, en commençant à contrôler et à restreindre les relations de chaque île avec l'extérieur de l'archipel, accroît et multiplie les échanges à l'intérieur de cette zone. Tout conspire ainsi à rapprocher les îles entre elles et à créer un large mouvement d'unification politique qui paraît, non seulement possible mais encore souhaitable, à plusieurs égards.

 

Inspecteur NORÈS(22 février 1906) : "Il serait plus facile d'arriver, par l'unité de législation, à créer entre les habitants de la nouvelle colonie, le sentiment de solidarité et l'idée d'une nouvelle patrie qui leur font, aujourd'hui, défaut..."

 

Ì

 

            Bien que, par le décret du 9 avril I908, le Gouvernement Français  eût arrêté le destin de l'archipel  -

 

"la colonie de Mayotte et les îles et protectorats /   cessent de constituer un gouvernement distinct et sont rattachés au Gouvernement Général de Madagascar ”  -

 

ce n'est qu'en 1914, et le 23 avril, que les protectorats furent effectivement et définitivement annexés, et l'archipel entier rattaché sur le plan administratif à la grande colonie de Madagascar.

 

            A ce sujet, une dernière question se pose, encore, comme elle l'avait été précédemment, avant l'instauration des protectorats :

 

            - pourquoi cette période (de protectorat théorique sur les 3 Comores du nord) a-t-elle duré 28 ans, de 1886 à 19I4, alors même que Madagascar devenait protectorat en 1885 et colonie dès 1895 ? CeRETARD A L'ANNEXION a, sans doute, plusieurs causes et origines.

 

            La raison immédiatement apparente est que, précisément, la possession de Komoro importait surtout en ce qu'elle conduisait à la conquête de Madagascar. Dès lors que la grande île est investie, c'est elle qui concentre toutes les attentions, pour sa pacification et sa mise en valeur. Komoro perd aussitôt de son importance. Comme La Réunion, de tremplin, il devient satellite. Il n'y a plus d'urgence à le déclarer colonie, d'autant qu'il l'est déjà, dans la pratique...

 

            Mais il apparaît aussi, et plus concrètement, que l'annexion de l'archipel complet  pose un problème global, constitué de plusieurs questions délicates dont la résolution va effectivement demander du temps.  

 

            Y l'obstacle diplomatique, à Ndzou'ani : le règlement du contentieux entre le Sultanat protégé et le colon Wilson, sujet américain n'intervient, par l'arbitrage Lucas-Frénaud qu'en 1906 ;

 

            Y le redressement et le règlement de la question foncière à Ngazidja : il s'agit ici de délimiter les terres que se disputent la Société "Humblot et C°", les propriétaires féodaux et les villages indigènes, enclavés dans le domaine Humblot. Le pouvoir politique et administratif de l'Etat Français se heurte à la détermination et à la puissance du groupe de pression "colonialiste" à Paris. Plusieurs années seront nécessaires pour faire reculer L.Humblot vieillissant. Les géomètres Hugues et Michaz rendent finalement leur rapport de délimitation, le 18 janvier 1911, et proposent de restituer 11.575 ha aux Ngazidja. Le rapport Camo du 4 sept. 1911 recommande aussi l'adoption de cette mesure ;

 

            Y la protection et l'indemnisation des Sultans déchus ou abdiquant (et de leurs ayant-droit), à Ngazidja, Mwali et Ndzou'ani : le procès intenté par S.Ali à L.Humblot a eu un énorme retentissement en France et a donné lieu à une vaste campagne de presse contradictoire. Aussi les Sénateurs exigent-ils, le 5 juillet 1912, d'entendre les représentants des princes déchus (et des colons), avant de voter l'annexion des protectorats, déjà adoptée par la Chambre des Députés ; 

 

            Y la charge encourue par le budget de l'Etat Français à Ndzou'ani et à Ngazidja notamment : il s'agit d'assumer les dettes des Sultans (assimilés à leur Sultanat, dans la mesure où ils n'ont pas de comptabilités distinctes). Or, Abdallah III était débiteur envers la Compagnie de la Banque Orientale de Maurice et S.Ali l'était envers la Société "Humblot et C°". Si la situation financière est aisément redressée à Ndzou'ani, il n'en est pas de même à Ngazidja et à Mwali où les budgets des sultanats seront constamment déficitaires. Il faut attendre l'arrêté du 10 juillet 1912, prononcé par le Tribunal Civil de la Seine et donnant gain de cause à S.Ali, pour que l'imbroglio tripartite se dénoue en grande Comore ;

 

            Y la mise en place de l'administration de la nouvelle colonie des Comores : le rattachement administratif de l'archipel à Madagascar fait l'objet, dès qu'il est projeté, d'un affrontement et d'un combat douteux. Celui qui le préconise, V.Augagneur, est justement le Gouverneur Général de la grande île ; il souhaite, par là, briser les intérêts particuliers qui paralysent l'administration de Ngazidja notamment ; mais il pense aussi que l'archipel, disposant de plus de fonds et de plus de personnel, sera mieux à même de prendre le sillage du développement auquel paraît promise Madagascar. 

 

            Il se heurte à des colons qui contrôlent maintenant le terrain comorien et entendent demeurer maîtres chez eux. L.Humblot a déjà exprimé, à plusieurs reprises, leur point de vue et leurs voeux, sur cette question :

 

(20 oct. 1896) "// Un Résident unique  suffirait pour les 4 îles dont l'administration intérieure serait confiée aux colons."

 

            Ces derniers vont d'abord s'opposer à l'annexion des protectorats (pétition des 13 colons de Ndzou'ani en 1906), puis, rejoints par leurs pairs de la colonie de Mayotte, au rattachement de l'archipel à Madagascar. Leur plus éloquent porte parole, à cet égard, sera l'inspecteur Hoarau-Desruisseaux dont le manifeste "Des regroupements de colonies" paraît en 1908.

 

            En l'occurrence, ils se heurtent, non seulement à l'Administration de leur territoire, mais encore aux industriels de La Réunion et de Madagascar. Le pouvoir politique ne peut concevoir que l'intérêt particulier (d'une fraction de la bourgeoisie industrielle) l'emporte sur l'intérêt général (de la classe industrielle et commerciale). Le député de La Réunion Brunet estime ainsi, le 3 février 1905, que "le Gouvernement a le devoir de consacrer la situation de fait" et de décréter l'annexion des protectorats.

 

            La défaite finale des industriels "comoriens" vient, aussi, de ce que les deux questions - annexion et rattachement - étaient à ce point liées, dans cette conjoncture, qu'ils ne pouvaient condamner l'un sans paraître vouloir s'opposer à l'autre et  éveiller ainsi le soupçon sur la qualité de leur fibre nationale.

            La nécessité d'étudier et de résoudre l'ensemble de ces questions pendantes explique, sans doute, ce retard à l'alignement théorique du sort des protectorats sur celui de la colonie. 

 

 

LE RÉGIME COLONIAL FRANCAIS   (1914-1946)

 

            C'est une période extrêmement agitée, sur le plan international, qui s'ouvre et se clot sur une longue guerre mondiale. Neuf années d'hostilités détournent, ainsi, la puissance administrante des questions du développementde ses colonies. Entre les deux conflits, vient encore s'intercaler, en 1920-30, la terrible crise financière du capitalisme. On se posera, ici, deux questions :

 

B/1.  L'ENSEMBLE COMORIEN

 SE DISSOUT-IL   dans

l'entité administrative et politique malgache ?

 

            A peine unifié, administrativement et politiquement, l'archipel des Comores est, aussitôt, rattaché à un ensemble territorial beaucoup plus vaste, puisque Madagascar est plus étendue que la France, en superficie.      Le décret du 23 février 1914 réalise cette absorption. Et un Règlement d'Administration Publique en fixe les conditions : "Les îles // constituent l'une des circonscriptions administratives de Madagascar."

 

            Le minuscule archipel, représentant, en terres émergées, la superficie du quart de l'île de Corse, aurait dû, en principe, se fondre, progressivement, dans l'ensemble malgache et, donc, disparaître comme entité. D'autant plus que cette mesure administrative provoquait une importante émigration comorienne vers les provinces septentrionales de la grande île, créant, ainsi, une certaine continuité, entre la province des Comores et celle de Majunga, notamment. 

 

            Et, cependant, tel ne fut pas le cas. On a vu les oppo-sitions et les réticences, exprimées avant le rattachement. Elles persistent, après 1914, avec la publication de l'"Exposé sur la situation des Comores"du journaliste colonial F.Mury 1921 . Mais l'Administration n'est pas loin de partager son opinion, comme il apparaît à la lecture des "Notes sur la possibilité de rendre au groupe des îles Comores son autonomie administrative",rédigées en 1924. 

 

            Le décret du 27 janvier 1925 reconnaît, ainsi, que  

 

"L'application des lois et règlements de Madagascar aux îles Comores // s'est heurtée à de très grandes difficultés, tenant aux moeurs / coutumes et / religion des Comoriens"

 

            En fait, et comme pendant la période précédente, on ne peut, aisément, administrer "Komoro", ni comme entité séparée, en raison de son exiguïté et de sa faiblesse économique relative, ni comme ensemble rattaché à un autre, en raison de sa spécificité et de son isolement géographique. De là, de nouvelles hésitations et démarches contradictoires, de nouveaux tâtonnements...

 

            Pour marquer l'attention qu'il lui prête, le Ministère des Colonies, par décret du 27 janvier 1925, crèe un poste d'Administrateur Supérieur, à Dzaoudzi, doté de compétences administrative et financière. Il sera choisi "dans le cadre des Gouverneurs / ou des Administrateurs en chef des Colonies" (décret du 4 mai 1926). Mais les deux décrets sont abrogés le 19 avril 1934 !

            Du moins, "sur le terrain", les choses sont-elles clarifiées lorsque, le 9 novembre 1928, le Gouverneur Général de Madagascar transforme, par arrêté local, la Province des Comores en Province Autonome, avec un chef de subdivision pour chaque île, placé sous l'autorité d'un Administrateur Supérieur de l'archipel.

 

ÌÌÌ

 

 

B/2.   ASSISTE-T-ON à    

 l'ÉMERGENCE d’un  FORT  SENTIMENT NATIONAL  COMORIEN  ?

 

            Plusieurs éléments nouveaux semblent devoir conspirer, pendant cette période, à la formation et à l'approfondissement, parmi les populations comoriennes, d'un fort sentiment national :

 

Ì  Pour la première fois de leur histoire, les Swahili du Large se trouvent séparés du reste du monde swahili, lui-même tronçonné et rattaché maintenant à d'autres Empires coloniaux établis sur la côte africaine, le britannique (Zanzibar, Kenya), l'allemand (Tangagnika) et même l'italien (Somalie). Leur spécificité n'en devient que plus évidente, au contact des Français, des Créoles et des Malgaches.

 

Ì  Elle est encore renforcée par les progrès de la coranisation et de l'islamisation des habitants des îles. Le rôle des confréries religieuses demeure essentiel et suscite même l'inquiétude des autorités coloniales, attentives aux menées de la Turquie, ennemie de la France et gardienne des Lieux Saints d'Arabie. Par leur essor et le succès qu'elles rencontrent, elles affirment toujours davantage l'identité islamique du peuple comorien et manifestent, indirectement, son refus d'un projet d'assimilation vaguement caressé par le colonisateur.

                      Mais c'est, paradoxalement, l'Administration elle-même, qui va consolider le versant arabo-islamique de l'identité comorienne : en 1922, C.POIRIER "découvre" que les qai font usage du traité de droit islamique "Minihadj at'talibini". Du coup, il l'impose comme source essentielle du droit personnel comorien. Dès lors, le fonctionnement des tribunaux islamiques, en matière de droit personnel, sera mieux connu, codifié et contrôlé. Le décret du 22 mars 1934 reconnaît leur existence et leur valeur, et celui du 29 mars vient régir le statut des juges musulmans, nommés d’ailleurs par l'exécutif.

 

Le décret du 1 juin 1939, pris sous l'impulsion de l'arabisant P.GUY, abroge les décrets précédents mais va dans le sens d'une  plus grande efficacité de la juridiction islamique, mieux articulée avec la française. Nul doute que l'expérience acquise par la France, au cours de son administration de plusieurs peuples musulmans, en Afrique du nord et au Moyen Orient notamment, n'ait joué en faveur de la reconnaissance de l'islamité aux Comores.

 

ÌEn même temps, l'oppression coloniale s'appesantit sur les populations, particulièrement pendant les deux conflits mondiaux (1914-18 et 1939-45), périodes pendant lesquelles les "indigènes" ne peuvent plus jouer de la rivalité potentielle entre l'Administration et les Sociétés d'exploitation. Ces deux instances font cause commune, pour les besoins "sacrés" de la patrie en danger. Les pouvoirs de l'Administration sont alors totalement subordonnés aux impératifs de la Production. Autant dire qu'elle ne joue plus son rôle potentiel d'interposition et d'arbitrage entre employeurs et employés, entre dominateurs et dominés. C'est, d'ailleurs, le Ministère de la Guerre qui règlemente, le 12 février 1916, le RÉGIME de l'ENGAGEMENT (c'est-à-dire du travail) ! Et le terme reprend toute sa signification militaire, en face de la désertion…

 

En devenant, à leur tour, "sujets français", les habitants des trois îles du nord, naguère "protégés", ne gagnaient guère au change. Désormais, pouvait s'appliquer dans toute sa rigueur le décret du 7 juillet 1901, instaurant à Mayotte, le célèbre et vexatoire RÉGIME de l’INDIGENAT, avec ses courtes peines d'internement sans jugement, pour la moindre désobéissance, et, même, de confiscation de biens pour tout acte assimilé à de la rébellion. Les îles sont ainsi, à certaines périodes de l'année, le théâtre de pittoresques processions. Des "réfractaires à l'impôt", attachés l'un à l'autre par une corde à boeuf, convergent vers la geôle du chef-lieu, où les attend la prestation obligatoire de travail  à laquelle ils voulaient se soustraire. Ces dispositifs répressifs et la privation de toute possibilité d'expression politique pouvaient hâter, par réaction, la maturation du sentiment national comorien... 

 

Rattaché à l'économie mondiale dont il attendait beaucoup, "Komoro" ne connaît, au total, qu'une courte plage de franche prospérité, en 1923-25, quand les cours de la vanille s'élèvent rapidement. Mais cette heureuse conjoncture ("Mali na si" = "A nous la Fortune !") ne dure guère. Les autres produits - bois, girofle, coprah, sisal enfin - ne sont pas aussi rémunérateurs et, surtout, dépendent cruellement, du défectueux réseau de communications et d'exportation que les principales entreprises locales cherchent pourtant à organiser, à leur profit.

 

Ì  Enfin, les processus d'unification, déjà à l'oeuvre, se poursuivaient : 

                           

sur le plan économique, la Société Coloniale de Ba'mbao renforce son emprise sur Ndzou'ani (rachat de Patsi 2.200 ha en 1921 et de Pomoni, 5.000 ha en 1924), s'implante solidement à Mwali (rachat du domaine Sunley, 4.500 ha, en 1925) et à Ngazidja (prise de contrôle de la S.A.G.C., 53.000 ha, en 1938) et étend son influence, bien que de manière moindre, à Maorè. Elle préside forcément au BRASSAGE des POPULATIONS, en appelant la main-d'oeuvre excédentaire sur les domaines des îles sous-peuplées. L'immigration, d'ailleurs, n'a jamais cessé, notamment à Maorè où s'installent de fortes communautés ndzou'ani (Kawéni, Koungou, Kangani, Hajangwa, Dzoumonié, Momojou) et ngazidja (Ko'mbani, Mramadoudou, Mtsapéré, Pamandzi ) dont les précurseurs avaient été, tôt, appelés par les planteurs et usiniers ;

                        

sur le plan administratif, les mêmes lois et réglementations s'appliquent désormais à tous les habitants de l'archipel. Les fonctionnaires subalternes sont nommés, exercent et font souche hors de leur île natale ; le mouvement s'effectue plutôt vers Maorè où se trouve Dzaoudzi, chef-lieu de la Province, qui cherche à faire oublier son surnom dissuasif de "bagne flottant"

 

Ì

            

Et, cependant, malgré la conjonction de tous ces facteurs favorables à la constitution d'une entité nationale comorienne, on ne peut conclure à l'apparition d'un fort sentiment national. L'existence de plusieurs facteurs défavorables s'y opposait, sans doute.

 

ÌL'insularité continue à singulariser la forte personnalité de chaque île : non seulement la langue mais, aussi, un étonnant et robuste matricentrisme séparent les Ngazidja  des Ndzou'ani et des Maorè ; de même, le dynamisme démographique et intellectuel oppose l'ensemble Ngazidja-Ndzou'ani à l'ensemble Mwali-Maorè ; les îles dominées en conçoivent une amertume peu propice à la fusion des esprits.

 

            Le sentiment vif d'appartenir à une île, suffit à séparer les Comoriens mais ne suffit pas à unir les habitants d'une même île. En effet, le pôle de fidélité et d'allégeance, dans toutes les îles, demeure fondamentalement le clan, le quartier et la communauté villageoise, au sein desquels l'individu trouve sa protection et son cadre d’expression quotidiens. Les rivalités entre villages restent très vives et ne se dissolvent donc jamais dans un "insularisme" idéologique qui, théoriquement, aurait pu les transcender. 

 

ÌEn renforçant leur caractère islamique, les Comoriens opèrent plus un repli identitaire sur la religion et la mystique  qu'ils ne s'engagent vers l'affirmation politique d'un certain nationalisme. La religion, d'abord, se désintéresse généralement de toute Histoire qui n'est pas sienne ; le mysticisme, lui, ne se soucie guère de l'en-deçà, pour lequel en un sens il n'a que mépris ; enfin, l'idéologie féodale et donc fixiste, a toujours été élitiste et extravertie, particulièrement dans l'univers swahili : elle se refuse à se dissoudre dans l'idéologie d'un peuple indistinct, unanime ou seulement uni ; ses partis pris contaminent la classe populaire qui nie ou refoule ses racines largement ba'ntou, et, par suite, doute d'elle-même et de ses moyens.

 

ÌAu raidissement de la puissance coloniale, en proie aux difficultés sur les fronts de guerre européens, certains Comoriens réagirent de manière viscérale, par des mouvements spontanés de désobéissance civique : les Mboudé et les Dimani de Ngazidja, contre la levée de l'impôt de capitation (en 1916) ; les Nioumakélé de Nzou'ani, contre l'obligation de l'engagement (en 1940). Mais le mouvement n'est pas relayé par les autres maillons potentiels (villages, cantons, îles). Surtout, il ne s'agit jamais d'un mouvement concerté et longuement mûri, susceptible de survivre à l'inévitable répression des autorités coloniales (et souvent, à cette époque, colonialistes). Au total, alors que les populations sont entrées dans le grand silence et l'austérité, elles n'entrevoient de salut que dans les formes auxquelles elles étaient accoutumées, pendant leur longue période féodale.

            Ainsi, au sortir de la seconde guerre mondiale, le peuple comorien n'est guère constitué, dans l'acception consciente et nationale du terme. L'exiguïté et le morcellement de son territoire, la fragilité de son économie, la faible instruction et l'orientation idéologique de son élite intellectuelle  constituent des handicaps non négligeables.

 

            Pour autant, le rattachement à la grande île de Madagascar n'a pas eu que de mauvais effets. Il a permis la venue dans les îles de personnels médical, enseignant, administratif, d'origine malgache (souvent rina), d'un bon niveau. De nombreux Comoriens ont émigré à Madagascar où ils ont trouvé de l'emploi dans les secteurs privé et public. La province de Majunga/Mahajanga est devenue un important foyer de peuplement comorien, à l'instar de ce qu'avait été Zanzibar, au nord-est. Enfin, les premiers personnels administratifs comoriens ont été formés dans la grande île, dans des écoles dont l'archipel ne disposait pas encore... 

 

ÌÌÌ

 

ØL'EMANCIPATION PROGRESSIVE (1946-1975)

 

            Alors, puisqu'un véritable nationalisme comorien ne s'est pas fait jour, dans ou hors l'archipel, parmi les élites, d'ailleurs clairsemées, on pourrait se demander :

 

C/1.    POURQUOI 

COLONISATEUR et COLONISÉS 

S'ORIENTENT-ILS  vers

 l'ÉMANCIPATION des  COMORES  ?

 

            C'est que, dans la période 1939-45, le monde a bougé, les esprits, en profondeur, ont évolué, tant celui des colonisateurs que celui des colonisés. Sans avoir rien d'un prince charmant, le Japon a cependant réveillé l'Asie, préparant indirectement la rébellion de la Chine, du Vietnam, de l'Inde et de l'Indonésie contre les puissances impériales de l'Europe. Le colonialisme s'en trouve ébranlé.

 

            La France, d'abord terrassée par l'Allemagne, a pu mesurer combien son redressement avait dépendu de ses territoires d'outre-mer,  envers les populations desquelles elle se sent, d'une certaine manière, débitrice. Elle en vient à reconnaître que les sujets français ont mérité, dans leur ensemble, d'accéder au statut de citoyens français. A l'initiative du Général de Gaulle, elle se décide d'ailleurs ENFIN , par l'ordonnance du 21 avril 1944, à conférer le droit de vote à la moitié féminine de sa propre population.

 

            Le 14 juillet 1945, à Paris, aux Etats-Généraux de la Renaissance Française, le Conseil National de la Résistance adopte un programme libéral et proclame :

 

"les droits politiques complets de citoyens français sont accordés à tous les originaires des territoires français d'outre-mer."

 

            Sur cette lancée, la loi du 19 mars 1946 élève au rang de département français d'outre-mer les quatre vieilles colonies de Martinique, Guadeloupe, Guyane et La Réunion.

 

            Le préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946 confirme cette orientation : dans ses rapports avec les colonies d'outre-mer, la France entend suivre, désormais, une politique de décentralisation et d'association.

 

            Les insurrections qui ont lieu en Algérie (1945), au Vietnam (dec 1946) et à Madagascar (mars 1947), viennent d'ailleurs lui rappeler les attentes et les frustrations des peuples dominés.

 

L'élite intellectuelle de l’Europe commence à défricher le champ fertile de l'altérité, et celle des continents dominés,  à recenser et faire connaître les richesses de ses héritages culturels, grâce à sa maîtrise nouvelle des langues de la colonisation... Aux Comores, un P.Guy approfondit la connaissance de la personnalité ngazidja, en "découvrant" le régime foncier de la propriété indivise, transmise matrilinéairement ("maniahoulé")...

 

            Sans doute, et malgré les efforts des libéraux (au Vietnam, en Tunisie, au Maroc), la France ne pourra ni ne saura-t-elle faire l'économie de deux guerres, en Indochine (1947-54) et en Algérie (1954-61). Mais, du moins, dans l'épreuve, et sous l'impulsion du Président de Gaulle, comprendra-t-elle, à temps, la nécessité de décoloniser à l'amiable  les peuples africains (1958-60). 

 

            Moins avancés et moins favorisés sur plusieurs points que d'autres nations, les Comoriens pour leur part ne semblent pas pressés de voler de leurs propres ailes : aussi, consultés par référendum, le 28 sept. 1958, décident-ils  (par 63.899 oui contre I.755 non) de rester dans le cadre de la Communauté institutionnelle proposée. 

 

            Cependant, l'on convient de part et d'autre qu'une évolution demeure possible et légitime : 

 

"le choix du statu quo n'implique pas l'immobilisme législatif et règlementaire" 

(Motion de l'Assemblée Territoriale, 17 décembre 1958)

 

            Pour le colonisateur, il est vrai, l'ensemble comorien, aussi intéressant soit-il, n'en est pas moins spécifique, inclassable et inassimilable ("niama ya ntsi'ngo"). 

 

            De leur côté, les néo-citoyens ont vite pris goût à l'expression politique dont ils étaient privés, depuis si longtemps. Quelques personnalités, formées à Madagascar, avant la guerre, sont, déjà, prêtes à jouer un rôle important : il s'agit des Ngazidja S.MOHAMED Cheikh et S.IBRAHIM S.Ali, et des Ndzou'ani MOHAMED Ahmed et AHMED Abdallah. 

 

La puissance coloniale encadre ce retour des autochtones à certaines responsabilités et conserve des prérogatives importantes. Le jeu politique, n'en retrouve pas moins, progressivement, quelque chose de sa complexité et de son âpreté d'antan. Et les nouveaux dirigeants comoriens, alors même qu'ils ont conscience de la faiblesse de leur pays, ne peuvent s'empêcher, d'ailleurs, de regarder, avec envie, l'évolution statutaire et l'accession à l'indépendance de leurs voisins du continent et de l'océan indien...

 

            Le I2 décembre 1961, au Palais-Bourbon, S.Mohamed Cheikh demande "un statut évolutif susceptible de s'adapter aux grands courants en marche"  et, le 26 nov. 1962, à la Chambre des Députés des Comores, d'autres orateurs sont plus explicites encore :

 

Ainsi de S.HASSANI Said Hachim : 

"Cette autonomie interne / est faussée/ dépassée par les aspirations d'un peuple, de plus en plus conscient de sa personnalité /"

 

 ALI Bazi : "Les Comores ne pourront continuer à vivre avec un statut qui étouffe, totalement, leur personnalité historique".

 

AFRAITANE Aboubakar : "Il est inadmissible que les Comores, brillantes dans leur passé, soient étouffées, au moment où tous les pays du monde se gouvernent eux-mêmes."

 

            Des deux côtés, avec, tantôt, des hésitations et des pauses, tantôt des élans et de la détermination, on glisse, ainsi, vers l'émergence d'un Etat Comorien indépendant.

 

 

C/2. QUELLES ONT ÉTÉ  les ÉTAPES     

  de cette lente DÉCOLONISATION ?

 

            L'an 1946 voit le retour des Comoriens à l'existence politique, sur un plan collectif d'abord, en tant que membres d'une entité distincte de l'entité malgache, sur un plan individuel ensuite, en tant que citoyens français. Les Maorè, à cet égard, reviennent d'une sujétion de 103 ans, tandis que les Ngazidja, les Mwali et les Ndzou'ani, "protégés français" pendant 28 ans, n'ont été "sujets français" que pendant 32 ans. Cependant, cette distinction n'a qu'une valeur théorique, nous l'avons vu, et ne peut donc guère justifier des conclusions univoques.

 

Le 9 mai 1946, une loi abroge la loi de rattachement à Madagascar du 25 juillet I9I2 et restitue à l'archipel son AUTONOMIE ADMINISTRATIVE et FINANCIÈRE.

 

Le 30 avril, un décret porte suppression de la JUSTICE INDIGÈNE, discriminatoire, en matière pénale.

 

Le 24 septembre, le décret n°46-2058 d'application de la loi du 9 mai  porte CRÉATION d'un TERRITOIRE des Comores, qui sera gouverné par un Administrateur Supérieur, assisté d'un Conseil Privé.

        

Le 25 octobre, le décret 46-2382 porte création d'un CONSEIL GÉNÉRAL de 24 membres, élus en deux collèges électoraux, par scrutin de liste majoritaire à 2 tours (4 Européens, 10 Ngazidja, 2 Mwali, 5 Ndzou'ani, 3 Maorè) ; le Conseil se réunira deux fois par an et aura avis consultatif sur le droit réglementaire.

 

Enfin, l'existence politique de l'archipel se trouve reconnue et consacrée par l'élection de S.MOHAMED Cheikh comme représentant des Comores à l'Assemblée Nationale Française, le 11 novembre 1946.

 

 

 

Il faut, cependant, attendre six années pour voir le Conseil Général acquérir un nouveau lustre et l'entité comorienne une nouvelle vigueur.

                                                       

 La loi du 17 avril 1952 étend, en effet, aux Comores  celle du 6 février 1952  relative à la formation des assemblées locales : le Conseil Général devient "ASSEMBLÉE TERRITORIALE", avec siège à Mouroni ; les 4 circonscriptions électorales sont fondues en une, ce qui annonce une volonté de centralisation, dans la perspective du renforcement de la personnalité de l'archipel, comme entité administrative et politique.

 

 

 

Mais c'est la  LOI-CADRE n°56-6I9  du 23 juin 1956 et son décret d'application du 15 décembre, qui prévoient et organisent, vraiment, un programme décisif de large décentralisation par rapport à la métropole. Se trouve désormais reconnue et consacrée la personnalité comorienne, irréductible à toute autre.

 

Le décret du 2 février 1957, promulgué par le décret 57-814 du 22 juillet, porte création d'un CONSEIL DE GOUVERNEMENT de 6 à 8 membres, responsable devant le Chef du Territoire. L'Assemblée Territoriale, composée de 30 membres élus pour 5 ans, en un seul collège électoral, se voit conférer une compétence normative ; le pouvoir de l'Administrateur Supérieur, agent du pouvoir central, demeure encore toutefois prépondérant.

 

Le retour aux affaires du général de Gaulle inaugure une ère de large consultation des populations de l'Empire colonial français : à l'occasion du référendum du 28 septembre 1958, les Comoriens décident (par 63.899 oui contre I.755 non) de rester au sein de la République Française, dans le cadre de la Communauté constitutionnelle proposée qui ne préjuge, d'ailleurs pas d'une possible évolution statutaire.

 

Dès le 2 décembre 1858, l'Assemblée Territoriale confirme cette option pour le statut de Territoire d'Outre-Mer, tout en se réservant, par la motion du 17 décembre, une latitude vers plus d'autonomie.

 

Ì

 

Une nouvelle étape, importante, est franchie en 1961, avec l'élévation de l'Assemblée Territoriale au rang nominal de "Chambre des Députés" (8 décembre) et, surtout, la loi 61-1412 du 22 décembre 1961, en 38 articles, qui octroie à l'archipel une "organisation particulière, basée sur le principe de l'AUTONOMIE DE GESTION".  

 

       [Art. 1 :] "L'archipel / forme, au sein de la R.F., un T.O.M., doté de la personnalité juridique et jouissant de l'AUTONOMIE INTERNE" ainsi que d'institutions propres (Chambre des Députés de 31 membres, Conseil de Gouvernement, collectivités secondaires). 

 

Elu premier Président du Conseil de Gouvernement, S.MOHAMED Cheikh prend, théoriquement, le pas sur l'Administrateur Supérieur (Document 17 / photo / page 110.). 

            En fait, il n'en est rien, et cela contribue, sans doute, à tendre les relations entre les deux instances.

 

            Le 9 janvier 1963, S.Mohamed Cheikh marque son impatience, lorsque, s'adressant au Président  De Gaulle, il précise :

 

"j'ai appelé votre / attention sur le désir des Comores d'obtenir, pour des raisons de dignité et d'amour-propre, surtout vis-à-vis des pays voisins, un statut d'Etat, avec les prérogatives qui en découlent // La reconnaissance, pour les Comores, de la personnalité internationale, avec délégation à la France, par conventions, de diverses compétences / ou la reconnaissance de la personnalité comorienne, étroitement liée avec la France /// Dans les deux cas, compte tenu de la conjoncture actuelle, l'ETAT COMORIEN doit être créé."

 

Le 25 mars 1963, la Chambre comorienne des Députés renchérit par une résolution  rappelant que "La loi a fait du Président du Conseil de Gouvernement le seul chef du pouvoir exécutif de l'archipel./"et donnant "mandat [à ce dernier]de poursuivre les pourparlers engagés / avec le Gouvernement Français/ en vue d'aboutir à l'épanouissement de la personnalité comorienne." 

 

Ì

 

Le colonisateur entend cette revendication, cinq ans plus tard, en adoptant le loi du 3 janvier 1968, qui porte modification du statut du Territoire et instaure une nouvelle répartition des compétences entre Etat et institutions locales. Désormais, la Chambre locale des Députés exerce une influence réelle, le Haut-Commissaire de la République Française voit ses compétences, théoriquement, circonscrites et le Président du Conseil de Gouvernement doit exercer pleinement le pouvoir. 

            

L'année 1970 marque un nouveau tournant dans l'histoire des Comores, avec la disparition du Président S.Mohamed Cheikh, "personnalité charismatique, autoritaire et populaire", qui semblait devoir mener l'archipel à l'indépendance. Sa mort soudaine, le 16 mars,  coïncide avec l'émergence d'une nouvelle génération d'hommes politiques (dont Mouzawar Abdallah et Ali Mroudjaé, fondateurs du R.D.P.C.) et l'influence croissante, exercée sur les gouvernements en cause, par l'opinion internationale (rôle de Abdou Bakar Bwana du Mo.Li.Na.Co.).

 

Les groupes et personnalités politiques s'efforcent de combler ce vide et se livrent à la surenchère, à l'initiative du Pa.So.Co. Le 2 mars 1972, le R.D.P.C. affirme par une résolution, que 

 

         "pour recouvrer sa dignité, sa personnalité / et le rôle qui lui convient de droit, dans le concert des nations, l'archipel des Comores doit accéder à l'indépendance."

 

Dans cette perspective, une coalition R.D.P.C.-U.D.C. se forme qui, le 12 juin 1972, renverse le prince S.IBRAHIM et, le 10 sept., confirme sa stratégie et ses objectifs.

 

Après des élections législatives qui, le 3 dec. 1972, consacrent son succès, elle inspire à la Chambre des Députés comoriens, l'adoption d'une résolution chargeant le futur gouvernement d' "étudier et négocier avec le Gouvernement Français, l'accession des Comores à l'indépendance, dans la coopération et l'amitié avec la France."

 

Le 24 dec., le Sénateur français, AHMED Abdallah est élu Président du Conseil de Gouvernement. C'est, donc, à lui qu'échoit le délicat honneur de traiter la question avec la France. Une délégation comorienne, dûment mandatée, négocie avec le Gouvernement français, pendant près d'un mois, à Paris. 

 

Le 15 juin 1973, est publiée une DECLARATION COMMUNE, signée  du Ministre français des D.T.O.M., B.Stasi, et du Président de Conseil de Gouvernement, AHMED Abdallah, aux termes de laquelle 

 

"l'accès à l'indépendance procédera d'une consultation des populations de l'archipel",

 

la Chambre des Députés s'érigera en"Assemblée Constituante" et sera chargée"d'élaborer la constitution du nouvel Etat".Le Président du Conseil de Gouvernement recevra, alors,

 

"les compétences de Chef de l'Etat.// Les rapports entre [les deux Etats]seront régis par des accords de coopération. // Les Comores réaffirment leur volonté de rester dans la zone franc // Il sera mis en oeuvre une politique de régionalisation permettant d'affirmer les droits et intérêts des entités régionales." 

 

            La voie semble, dès lors, ouverte, pour une évolution harmonieuse vers une indépendance, plutôt nominale, il est vrai, où chaque instance devrait trouver avantage. Mais cela, sans doute, était sans compter avec les ambitions et les craintes des uns et des autres... 

 

Loin d'apaiser les passions, la publication de la Déclaration Commune va, au contraire les déchaîner, provoquer des manoeuvres et des tensions multiples qui culmineront, le 7 juillet 1975, avec la DÉCLARATION UNILATÉRALE DE L'INDÉPENDANCE des Comores, et aboutir à la rupture des relations entre la puissance  de tutelle et le nouvel Etat Comorien !

 

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C/3.  COMMENT SE MANIFESTENT  les TENSIONS (INTERNES ET EXTERNES),AUTOUR de laQUESTION de l'INDÉPENDANCE des COMORES?

 

            Il y a toujours eu, sur la question coloniale, au sein de la métropole après 1945, au moins deux tendances concurrentes, celle des LIBÉRAUX et celle des "IMPÉRIAUX" (qui, dans le meilleur cas, prônent l'assimilation). Ces deux inspirations, déjà sensibles lors de la Conférence de Brazzaville, le 30 janvier 1944, semblent même avoir coexisté et alterné, dans l'esprit du Général De Gaulle, si l'on en juge par ses hésitations sur l'Algérie (1958), sa réaction brutale envers la Guinée (indépendante au 1er oct. 1958), son coup d'éclat au Québec (juin 1967), sa politique étrangère globale...

 

Elles vont apparemment se fondre, à partir de 1958-60, dans une pratique mixte qui fait des nouveaux Etats africains, des partenaires à ce point étroitement associés qu'on a pu les considérer comme des néo-colonies. Le conseiller du Président de Gaulle aux affaires africaines, J.FOCCART, incarne bien ce système hybride, avec les réseaux qu'il tisse, au travers du continent, en une vingtaine d'années. (Voir Document 18 / photo / page 115.)

           Le sud-ouest de l'océan indien se présente toujours, après la victoire des Alliés, comme un bassin d'hégémonies, politique, économique, militaire et culturelle, françaises. Empêchée d'aborder à l'est du continent africain, par les autres puissances européennes (Italie, Royaume-Uni, Allemagne et Portugal), la France y a néanmoins édifié, en trois siècles, par le biais de la francophonie, un EMPIRE MARITIME implicite qui s'appuie sur un complexe d'îles et s'étend sur plus de 6.000 km, en latitude, des Kerguelen aux Seychelles, et sur quelque 3.000 km, en longitude, des Comores à Rodrigue, avec, pour centre, Madagascar et ses satellites. La perte, même, des Seychelles et de Maurice, au bénéfice des Britanniques, en 1810, n'a pas empêché la France de continuer à y exercer son influence, utilisée comme contre-poids par les habitants de ces archipels. 

 

L'accession de Madagascar à l'indépendance, en 1960, n'a guère modifié cet ordre établi et le Président Tsiranana entend demeurer dans le giron français, alors que la présence soviétique commence à se faire sentir en Somalie, au Mozambique et même en Afrique du sud, et que les Etats-Unis substituent progressivement la leur à celle du Royaume- Uni, dans la région.

 

L'archipel des Comores, dans ce contexte, ne semble pas devoir occuper les premiers rôles de la scène internationale. Pour avoir négligé son développement infrastructurel et éducationnel, les gouvernements français peuvent se vanter d'y avoir respecté les moeurs et coutumes locales... Les retards accumulés inspirent, d'ailleurs, au Président S.Mohamed Cheikh, le 25 oct. 1961, cette question où perce l'amertume : 

 

                "La France entend-elle rester aux Comores ?"

 

            Sur le plan institutionnel, pourtant, l'archipel se trouve bientôt sur la même ligne que les dernières colonies africaines, celles de Mozambique, Djibouti, Seychelles...

 

C'est, sans doute, la révolution nationaliste malgache qui, à partir de mai 1972, ébranle tout l'édifice en place et menace de le renverser : les forces militaires françaises, terrestres et aériennes, doivent se retirer de la base de Diégo-Suarez, aux termes des accords du 4 juin 1973, et procéder à leur redéploiement autour de La Réunion. Ce renversement atteint toute la stratégie française. Le compromis entre libéraux et impériaux vole, alors, en éclats. Le complexe politico-militairequi, à partir du Ministère des Départements et Territoires d'Outre-Mer de la rue Oudinot à Paris, commande toute la région où il dispose de multiples relais dans les milieux conservateurs, notamment à La Réunion, se raidit et, grâce à ses services spéciaux, commence à opposer un autre scénario à celui de l'équipe gouvernementale en place. 

 

Il n'a, quant à lui, jamais négligé l'importance du petit archipel des Comores, ni ses relations avec des dirigeants auxquels le Général de Gaulle disait, le 10 juillet 1959, à Mouroni :

 

               "Vous êtes ici, à un point essentiel du monde !"

 

            Et, particulièrement après la disparition de l'autoritaire et prestigieux Président S.Mohamed Cheikh,  il sait pouvoir compter, au sein même du personnel politique comorien, sur des forces et des alliés influents qu’il a  d’ailleurs contribué à promouvoir : 

 

* le Prince S.Ibrahim, par exemple, qui a travaillé, de 1947 à 1954, au Bureau des Affaires Politiques du Haut-Commissariat de la République, à Madagascar et dont les parents et clients, descendants du Sultan S.Ali de Ngazidja, sont d'ailleurs tous pensionnés, par reversion, de l'Etat Français ; 

 

            * le mouvement protestataire mahorais qui commence à s'exprimer, à l'initiative de "Georges" Nahouda, dès le 2 novembre 1958, lors du Congrès des Notables de Mayotte d'Itsou'ndzou, et auquel les services spéciaux accordent, probablement très tôt "un soutien financier mensuel / sur fonds secrets"  (Michalon 1984).

 

            La montée en puissance du Mouvement, allié au parti blanc de S.Ibrahim (Ngazidja) et Mohamed Ahmed (Ndzou'ani), va même grandement affaiblir S.Mohamed Cheikh, après 1966. Marcel HENRY est aussi l'homme de la situation qui prend la relève de Soufou Sabili, à la tête du M.P.M., en 1967, et de concert avec l'agent double A.GIRAUD, va organiser et approfondir la résistance...

 

Cette stratégie demeure souterraine. Nul ne programme encore, dans les sphères officielles françaises, la sécession de la Comore du sud. Il faut l'arrivée aux affaires d'un impérial sans complexe, P.MESSMER, pour annoncer publiquement, à Mouroni, le 29 janvier 1972, que "rien ne saurait être fait, sans un référendum où chaque île serait appelée à décider de son propre avenir."Ministre d'Etat, chargé des DOM-TOM, il confirme son propos, à Mwali et à Ndzou'ani, le 30 janvier, et le développe complaisamment, à Maorè, le 31 : 

 

"Si vous voulez rester encore 130 ans avec la France, vous [le] resterez //"

   

            Cependant, cette déclaration publique semble n'engager que son auteur. Le Président Pompidou et ses conseillers, respectueux d'ailleurs du droit international, n'ignorent pas qu'une telle procédure de consultation pourrait entraîner l'éclatement de l'entité que la France, elle-même, a patiemment construite. Le principal antagonisme risquerait alors d'opposer les Ngazidja aux Ndzou'ani... 

 

La Déclaration Commune des deux Gouvernements, le 15 juin 1973, scelle un accord qui semble parer à tout, sans que le Premier Ministre - P.Messmer, justement ! - n'y trouve à redire... 

 

La disparition, le 2 avril 1974, du Président G.Pompidou, en cours de mandat, vient à point, pour les Debréistes, qui profitent du flottement des services civils, avant et après l'élection de V.GISCARD d'Estaing, pour avancer leurs pions. Le dispositif d'ensemble est, alors, déployé qui s'appuie sur des personnalités en vue, dans tous les rouages de l'Etat, à commencer par le Président de la République par intérim, A.POHER... 

 

C'est, précisément, à partir du Sénat, qu'est lancée une vigoureuse campagne d'opinion (relayée par l'avocat L.VALLERY-RADOT, l'ancien Ministre et député de La Réunion, M.DEBRÉ, le Député A.VIVIEN), si puissante qu'elle pourra abuser de nombreux parlementaires de bonne foi et renverser la politique élaborée par les gouvernements français successifs. Elle va réussir à s'imposer aux dépens du plan, pourtant équilibré, du nouveau Secrétaire d'Etat aux DOM-TOM, O.STIRN. Celui-ci assure, les 26 et 27 août 1974 :

 

"le rôle de la France est de faciliter le rapprochement / et de trouver un statut juridique approprié". "La France se refuse à diviser les Comores qui ont le même peuplement, la même religion islamique, les mêmes intérêts économiques."

 

Et le Président Giscard de réaffirmer, le 24 octobre 1974 :

 

 "Les Comores sont indivisibles ; elles l'ont toujours été."

 

            Mais il est aussitôt contredit, le 30 octobre, par le Sénateur de HAUTECLOQUE :

 

"Les Comores n'ont jamais constitué une entité politique ou administrative." !

Et le nouveau pouvoir est loin de contrôler tous les arcanes des services spéciaux militaires...

 

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Naturellement, les Comoriens ont puissamment contribué, de leur côté, à engendrer les maux qui les frappent : les institutions territoriales, mises au point à Paris, garantissaient la représentation de chaque île à la Chambre comorienne des Députés. Mais, établies sur un critère démographique, elles donnent, tout de suite, une prééminence écrasante aux Ngazidja et aux Ndzou'ani, aux dépens des Mwali et des Maorè. 

 

Dans ces conditions, il aurait fallu aux responsables comoriens plus de vertu et de vigilance pour que les deux îles sous-peuplées ne conçoivent, à la longue, un sentiment d'impuissance et d'inutilité, d'amertume aussi...

 

Ce danger potentiel fut longtemps masqué par l'interposition de la puissance administrante et pallié par le fonctionnement aldéïste traditionnel de la vie politique comorienne, également par le pouvoir paternaliste et  incontesté du Président S.Mohamed Cheikh...

 

Mais, avant et après la mort du Président, en 1970, deux événements décisifs allaient ébranler l'unité politique de l'archipel : le choix du siège de la capitale du futur Etat indépendant, d'une part, et d'autre part, la polémique autour de son régime institutionnel. 

 

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C/4. Le TRANSFERT 

du SIÈGE de la CAPITALE,

de DZAOUDZI à MOURONI,

FUT-IL une ERREUR  ?

 

            Le choix de l'îlot de Dzaoudzi/Ndaoudzé comme chef-lieu de Mayotte avait déjà soulevé l'ironie de plus d'un Commandant, de maint observateur :

 

Cdt MOREL 1860 : "/ sur la question de transférer le siège principal du gouvernement à la grand'terre. Les intérêts de la colonisation réclament, hautement, cette mesure."

 

A.GEVREY 1970 : "Le plateau de Dzaoudzi est le chef-lieu de la colonie. C'est un îlot rond et bas, de 250 à 300 mètres de diamètre // pas de sommeil, pas d'air, pas d'eau ; pour tout exercice, une promenade de 50 mètres, une atmosphère empestée,  pour toute distraction, la vue de la Grande-Terre / voilà les conditions de la vie matérielle pour les habitants du plateau // ce bagne flottant."

 

            Cependant, le coût global de l'opération méritait réflexion et, lorsque la France étendit sa tutelle administrative aux trois autres Comores, à partir de 1886, elle le fit, tout naturellement, à partir du rocher où ses services étaient concentrés en un mouchoir de poche. (Voir Document 19 / dessin / page 123.)

 

La période de rattachement à la Colonie de Madagascar favorisait aussi Dzaoudzi, plus proche de la grande île. 

 

C'est donc seulement après 1946 que commença à se poser la question de l'édification d'un véritable centre administratif moderne pour l'archipel. Sans doute, Dzaoudzi, en raison de son rôle historique et symbolique, conservait-elle une certaine faveur mais elle ne pouvait prétendre à la fonction de capitale : son isolement, à l'extrême sud de l'archipel désormais séparé de Madagascar, et son exiguïté, constituaient des handicaps insurmontables.

 

En outre, et dans cette nouvelle phase d'émancipation des colonies, elle symbolisait aussi la période autoritariste de la présence française : les instances militaires, sous le prétexte de la fortifier, en avait fait déménager toute la population en place, dès 1844. A cette époque, le "rocher" avait été redessiné et n'abritait plus, désormais, que les fonctionnaires militaires et civils de la colonie. De tout temps, c'est d'ici qu'émanait le pouvoir sans partage des Commandants, Gouverneurs et Administrateurs, nommés par le Ministère de la Marine et des Colonies. A cet égard, le slogan actuel du M.P.M. sécessionniste - "Nous voulons rester français pour être libres !"-n'aurait pu avoir cours, avant 1946...

 

Aussi, lorsqu'il s'agit de rendre ou d'accorder aux Comoriens le droit à l'expression civique et politique, avec d'abord la création d'un Conseil Général, s'enquit-on de trouver un pôle législatif, susceptible de contre-balancer le pôle exécutif de Dzaoudzi où résidait le Chef du Territoire.

 

Le processus en fut engagé, le 17 avril 1952, lorsque le Gouvernement Français, étendant aux Comores la loi du 6 février, transforma le Conseil Général de l'archipel en Assemblée Territoriale, dont il fixa le siège à Mouroni. Ce choix tenait, d'une part au rôle important joué par les Ngazidja, dans la vie politique de l'archipel, et d'autre part, à ce que le balancier ne pouvait être équilibré que par le contrepoids de l'extrême nord.

 

C'est en 1957-58 que devait s'opérer la rupture de cet équilibre. La création, par décret d'application 57-814 du 22 juillet, d'un Conseil de Gouvernement, encore présidé par l'Administrateur Supérieur, prévoyait la réunion des deux sources du pouvoir (législatif et exécutif) en un même théâtre. Il fallait donc en arrêter le lieu.

 

            Il ne semble pas que ce choix ait été préparé par une véritable réflexion : au lieu d'ouvrir des options nouvelles - l'implantation d'une capitale à Mamoudzou de Maorè, ou à Ndzou'ani, située au centre de l'archipel, ou, même à Mwali - on se borna à rester dans l'alternative héritée : pôle-sud pôle-nord. La symbolique historique colonisation-décolonisation, la vanité proverbiale des Ngazidja qui ne virent pas le piège, ouvert devant eux, les calculs probables de l'axe impérial militaire, firent le reste...

 

Le 14 mai 1958, l'Assemblée Territoriale comorienne votait, par 25 voix contre 4, une motion demandant le transfert du siège du chef-lieu de Dzaoudzi à Mouroni. Les 4 députés représentant Maorè qui s'étaient opposés à cette motion, protestèrent officiellemnt, en août, auprès du Ministère de la France d'Outre-Mer. Ce n'était pas, bien sûr, qu'ils eussent la nostalgie des temps de l'indigénat et des travaux forcés, mais simplement qu'ils n'acceptaient pas de passer brutalement du centre à la périphérie...

 

En juin 1962, commençaient les opérations de transfert des services administratifs, de Dzaoudzi vers Mouroni. En septembre, le Haut-Commissaire DARUVAR s'installait dans la nouvelle capitale en chantier. Les autorités françaises n'y voyaient guère d'inconvénients :

 

"Dans le cadre de l'autonomie interne/ [dévoluant] les responsabilités majeures au Gouvernement Comorien, il devenait impossible de gouverner l'archipel depuis Dzaoudzi."        

                                                     (P.CARLE 1963)

 

Curieusement, et bien que les élus maorè n'aient jamais cessé de dénoncer cette dépossession, la population de l'île du sud demeura quelque temps, semble-t-il, prostrée et apathique. Ce n'est qu'en août 1966, qu'elle manifesta violemment sa colère, en insultant et lapidant le  Président S.Mohamed Cheikh lui-même...

 

            Ainsi, l'îlot de Dzaoudzi qui ne pouvait plus guère offrir aux Comoriens qu'un seul avantage potentiel, celui de constituer une sorte de lopin extra-territorial, une "terra neutra", susceptible de demeurer à l'écart des passions partisanes, devait au contraire les cristalliser toutes. 

 

L'île de Mayotte qui s'était vu, autrefois, conférer "un statut privilégié : celui de fille aînée de la France, dans le canal de Mozambique" (Michalon 1984), perdait ses prérogatives et s'enfonçait dans la misère et l'amertume. 

Nul doute que certains y virent aussitôt l'occasion et le moment d'utiliser "Le dépit de la fille aînée" (Michalon) à des fins intéressées...

 

 

 

C/5.     POURQUOI  

LA  QUESTION   de   MAYOTTE, 

ne s'est-elle  pas  aussitôt doublée 

 d'une QUESTION de  MOHÉLI   ?

 

Si, ainsi que je le prétends et affirme, Maorè n'est qu'une Comore comme les autres, si son destin a résidé, pour l'essentiel, dans sa faiblesse démographique, alors on aura beau jeu de m'objecter : "Pourquoi la minuscule Mwali, soumise à la même oppression relative, au même déficit démographique, aux mêmes frustrations, n'a-t-elle pas manifesté la même révolte ?"

 

Cette simple interrogation est précisément de celles qui m'amènent à croire que la police politique militaire de la France, dans l'Océan Indien, a dû très tôt  préparer la sécession de l'une et se désintéresser de l'autre. Tout montre, en effet, que nul Mwali n'a jamais cru possible, pour son île, de s'extraire d'un ensemble que la France officielle parrainait, d'ailleurs, ostensiblement. Faute d'avoir reçu la moindre assurance d'un soutien, même occulte, les Mwali ont renoncé, très tôt, à concevoir leur avenir hors de l'Etat Comorien, malgré leurs réticences lorsqu'il fut question d'indépendance. S'ils avaient cru possible l'éclatement programmé de Komoro, nul doute qu'ils auraient tenté de tirer leur épingle du jeu...

Il n'en allait pas de même de l'île dont l'intérêt stratégique s'est toujours inscrit, à la fois, dans sa configuration et dans sa situation géographiques. Si l'historien J.Martin pouvait considérer Mayotte comme une "colonie inutile"à bien des égards, telle ne fut jamais l'appréciation des stratèges militaires et impériaux qui, eux, ont toujours vu, dans son lagon,  la clé du contrôle du canal de Mozambique et, en outre, un poste d'observation privilégié, à portée de Madagascar. Leur souci était à la fois défensif - assurer l'approvisionnement de la France  en pétrole brut  transitant par le canal - mais aussi (et quoi qu'ils en disent) offensif - affirmer l'hégémonie française  dans cette région du monde.

 

Ainsi que le dira le Contre-Amiral OROSCO, commandant des Forces Maritimes Françaises dans l'Océan indien (J.I.R. 26-12-1978) : 

 

"C'est une tradition de la Marine nationale que de protéger, dans le sens le plus large du mot."

 

Et  R.-X. LANTERI, de son côté, remarquait  (L'Express, 8-14 mars 1976) :"Avec 22 navires de guerre, la France possède la deuxième flotte de l'Océan indien, juste après les Russes."

 

Tandis que les "libéraux" acceptaient, en principe, de confier aux jeunes autorités comoriennes le contrôle nominal de l'ensemble de l'archipel et donc de la base militaire que la France pourrait y édifier, les "impériaux" penchaient, eux, pour le contrôle direct de ces installations. La volte-face du Gouvernement Malgache et l'humiliation française du retrait de la base de Diégo-Suarez, en 1973, vint justifier les appréhensions des seconds et stimuler leur détermination. 

 

Il devenait indispensable pour eux d'arrêter leur recul et d'opérer un nouveau déploiement, susceptible de recevoir les forces aéro-navales, retirées de Diégo-Suarez et Ivatou. De là provient, aussi, "la recherche des cailloux" :

 

R.-X.Lantéri (mars 76) : «Et voici qu'elle [la France] se donne cinq nouvelles bases : Juan de Nova, Bassas da India, Europa, Tromelin, les Glorieuses.»

                             

            Mais l'île de Mayotte, pour les "impériaux", offrait un plus grand intérêt et promettait de compléter un dispositif circulaire qui rappelait le temps des convoitises autour de Madagascar. Le terrain comorien, toujours contrôlé d'ailleurs par la gendarmerie française, se prêtait admirablement à un projet d'envergure, qui fut entamé dès la fin de 1973, en contradiction apparemment avec la politique officielle menée par le Président Pompidou. Ce n'était pas la première fois, dans l'Histoire, que des services spéciaux tentaient d'imposer au pouvoir légal une direction imprévue...

 

 

C/6.  DANS QUELLES CONDITIONS  

KOMORO ACCÉDA-T-IL 

A L'INDÉPENDANCE   ?

 

            L'accession des Comores à l'indépendance devait constituer, dans l'esprit de ses concepteurs, un modèle de décolonisation en douceur et permettre au nouvel Etat d'amorcer un essor harmonieux. Le Gouvernement Français avait élaboré un projet équilibré, qui devait ménager l'unité du territoire comorien et l'ouvrir, néanmoins, à une régionalisation nécessaire :

 

Ministre DTOM B.Stasi (26-9-1974) : "un archipel / fier de lui / au sein duquel chaque île pourra, légitimement, développer et afficher sa personnalité // gérer ses affaires"

 

B.Stasi (4-10-1974): "Il me paraît souhaitable qu'un régime de type fédéral et des structures très décentralisées puissent permettre / à chacune de ces îles de gérer ses propres affaires."

 

            Cependant, il devait commettre une ERREUR, révélatrice de ses réticences et entérinée par l'aveuglement, l'impatience et l'opportunisme des députés comoriens qui, le 21 décembre 1973, donnaient mandat au Gouvernement local de négocier "la date de l'accession des Comores à l'indépendance, sans toutefois qu'elle puisse excéder 1976".Il se préoccupa plus de fixer une date de consultation que de mettre en place et faire fonctionner déjà, les institutions correspondant au régime fédéral envisagé.

 

Dès lors, tout devenait obstacle et pouvait aisément faire avorter le projet global : ainsi des infinies divisions entre personnalités comoriennes, du caractère autoritaire et coléreux du Président Ahmed Abdallah, enfin et surtout, des intrigues et activités souterraines de l'axe politico-militaire français. Nul doute que les impériaux n'aient su, très tôt, au moins dès le milieu de 1973, que le Président Pompidou, atteint par un cancer, ne pourrait aller au bout de son mandat. C'est, en tout cas, le moment où se manifestent nettement les premiers indices du COMPLOT, ourdi pour affaiblir puis, renverser Ahmed Abdallah.

 

            Nommé à la Présidence du Gouvernement local, le Sénateur français du groupe UDR, Ahmed Abdallah, n'est pas un indépendantiste forcené. L'idée même d'indépendance a, longtemps, été considérée avec suspicion par les populations comoriennes qui, connaissant leurs divisions internes et leur faiblesse économique, ne la pensaient pas viable. Ce sont donc des groupes minoritaires, Mo.Li.Na.Co et, surtout Pa.So.Co., qui en ont lancé l'idée, dans un contexte international, politique et économique, propice à la décolonisation. Le ralliement officiel à cette option, en 1972, de la nouvelle génération de dirigeants politiques, animateurs du RDPC, fut décisif. Ces derniers portèrent à la Présidence du Conseil de Gouvernement, l'homme qui présentait, à leurs yeux, le plus d'atouts : être leur aîné, avoir une longue pratique de la vie politique, et disposer à Paris de nombreux appuis, au sein de la majorité politique et du Gouvernement Français... 

 

            L'indépendance que l'on se proposait d'atteindre ne devait d'ailleurs pas remettre en cause, en principe, l'étroitesse des relations que les Comores entretenaient avec la puissance de tutelle. Il s'agisssait bien, dans l'esprit des députés comoriens, le 22 dec. 1972, d'"étudier et négocier avec le Gouvernement Français, l'accession des Comores à l'indépendance, dans la coopération et l'amitié avec la France."

                       La Déclaration Commune du 15 juin 1973 vint couronner cette démarche qui semblait devoir aboutir dans les meilleures conditions.

 

            Mais, sur le terrain, l'agitation se trouve lancée, dès le mois de novembre 1973, par la grève des lycéens de Mouroni, aussitôt manipulée - si elle n'a été suscitée - par le mouvement d'opposition Oum'ma qui compte d'ailleurs, dans ses rangs, un certain BARON, agent actif de la répression sanguinaire menée contre les Malgaches en 1947. Un tel personnage n'aurait pu jouer un rôle politique en 1974, aux Comores, sans l'aval et la protection des services spéciaux. 

 

            Le 28 décembre, des commandos envoyés d'Ikoni, le fief de S.Ibrahim, vont incendier, à coups de cocktails Molotov, la Chambre des Députés comoriens. Le Haut-Commissariat de la République Française à Mouroni, bâtiment où opère très officiellement la police politique du Ministère des Armées (avec des agents connus, tels Koenig et S.Charpentier), affecte de ne rien savoir sur cette entreprise orchestrée de déstabilisation.

 

            Parallèlement, à Maorè, les "services" stimulent et renforcent la volonté et l'organisation du MPM qui recrute auprès des couches les plus modestes de l'île, paysans de langue malgache, jeunes sans emploi, femmes sans ressources.  Et même dans les autres îles, une émergence nouvelle favorise la déstabilisation : la crainte, chaque jour plus manifeste chez les "alliés" de circonstance du Président Ahmed Abdallah, de contribuer, peut-être, à creuser le lit d'une dictature... On souhaiterait ici que la puissance administrante convoque d'urgence une conférence constitutionnelle, chargée de doter le nouvel Etat d'institutions propres... Il était temps de s'en soucier, alors que les Comoriens opinent pour l'indépendance, à 94 % des voix, le 22 décembre 1974... 

 

            Mais ce n'est pas, l'on s'en doute, à Ngazidja et à Maorè, que se joue vraiment le destin de Komoro, c'est bien à Paris  où l'axe politico-militaire déclenche l'opération la plus délicate. Il s'accommode d'abord fort bien de la déroute du candidat gaulliste Chaban-Delmas et trouve, paradoxalement, dans l'avènement d'une équipe nouvelle (et donc inexpé-rimentée), autour du Président Giscard-d'Estaing élu le 19 mai 1974, l'occasion rêvée de jouer la carte de l'amputation de l'archipel.

                       

            La situation est d'autant plus favorable qu'un conflit de compétence et de susceptibilité oppose, à Paris, le Législatif à l'Exécutif, gaullistes et giscardiens. Le Parlement se saisit donc de l'affaire comorienne dans des conditions particulières.

 

J.FOYER (4 oct. 1974) à l'Assemblée Nationale :"les accords passés entre le Gouvernement français et les autorités comoriennes ne retirent pas au Parlement son pouvoir souverain de décision."

 

            Le Président Giscard et son Ministre O.Stirn ont beau réaffirmer l'unité de l'archipel  et déposer, le 3 octobre 1974, un projet de loi prévoyant "consultation de LA POPULATION des Comores", les démembreurs du Sénat leur renvoient, le 6 novembre, le projet sous la forme d'une "consultation DES POPULATIONS des Comores". Ils ont été eux-mêmes convaincus, apparemment, par le groupe de pression, dit "Comité de Soutien pour l'Auto-détermination du Peuple Mahorais", qui s'est réuni, le 12 septembre, et a tenu conférence de presse, le 9 octobre 1974. L'avocat du groupe, L.Vallery-Radot, formule ainsi son argumentation, le 25 décembre :

    "est-il dans la vocation de notre pays de rejeter, du sein de la communauté nationale, une population dont une large majorité demande à y rester ? // le principe du maintien du peuple mahorais au sein de la communauté nationale est inattaquable. // Le droit à l'autodétermination des peuples est inscrit dans la Constitution de 1958  et dans son article 53."

 

            On passe ainsi, allègrement, de la population au peuple, sans que nul n'y prenne garde. Les Ngazidja et les Ndzou'ani, qui ont plus de droits à faire valoir, à cet égard, avaient ignoré qu'ils pouvaient s'auto-déterminer, chacun de leur côté ! D'ailleurs, la consultation elle-même change de sens, avec le Sénateur rapporteur, Mme de Hautecloque, qui affirme, le 6 novembre 1974 :

     "L'un des buts de la consultation est de déterminer si les populations des 4 îles se considèrent, ou non, comme une nation unique  et le législateur n'a pas à préjuger de leur réponse"

 

            Ce rapporteur ignore peut-être, il est vrai, que tous les peuples n'en sont pas au même stade de leur Histoire et que la Provence, par exemple, fut donnée à la France, par le duc d'Anjou, en 1481, sans particulière consultation de ses populations (ou de son peuple ?)...

 

            En tous cas, l'ensemble de ces arguments jette la confusion dans l'esprit de parlementaires, peu informés des réalités du terrain comorien. Comment les conservateurs pourraient-ils rejeter des citoyens qui se réclament de la France ? Comment les progressistes pourraient-ils aller à l'encontre du principe de l'auto-détermination des peuples ? La manoeuvre réussit, au-delà de toute espérance. Et, le 23 novembre 1974, est votée la loi qui rend possible le démembrement : lors de la consultation "des populations", "les résultats des bureaux de vote [devront être] classés par circonscription" [= par île]". 

 

            Sur le terrain, le Mouvement Mahorais a le vent en poupe ; le 22 décembre 74, il fait voter le "non" à l'indépendance, à plus de 63 % des suffrages. Pour la Mission parlementaire française qui passe dans l'archipel au mois de mars 1975 et remet son rapport le 13 juin, il n'y a plus de doute : il existe bien un peuple mahorais (puisque les manifestants,  en majorité, ne parlent pas français) et ils veulent bien rester français (puisqu'ils arborent le drapeau tricolore, à chaque apparition de parlementaire venu de Paris)...

            Certes, des résistances se manifestent, encore, ici et là. Le 13 décembre 74, l'O.N.U., alertée, presse la France, dans sa résolution 3291-XXIX, de "respecter l'unité de l'archipel". Au Parlement français, tant à l'Assemblée Nationale qu'au Sénat, l'opposition de gauche (socialistes, communistes, radicaux) combat le projet de partition pendant, encore, toute l'année 1975, déposant, même, un recours en annulation auprès du Conseil Constitutionnel. 

 

            A Mouroni, le Président Ahmed Abdallah, fort des promesses unionistes des deux candidats aux élections présidentielles de 1974, n'entend pas se laisser manoeuvrer. Lorsqu'est adopté, à Paris, par 294 voix contre 184, le projet de loi portant ratification des résultats du référendum du 22 décembre 74 et ouvrant à la sécession de Maorè, le Président le juge immédiatement (27 juin 1975), "inacceptable et inapplicable". Il n'a plus guère désormais de choix et, à son retour de Paris, aussitôt après la publication de la loi française du 3 juillet 75, prévoyant la ratification, île par île, d'une nouvelle Constitution, il proclame, unilatéralement, le 6 juillet, l'accession du TOM des Comores à l'indépendance, dans ses frontières coloniales. (Voir Document 20 / photo / page 136.) 

 

            Cela lui permet de jouir, du moins, du soutien international. L'archipel, dans son intégrité, sera d'ailleurs admis à l'O.U.A. le 18 juillet (comme 46ème Etat membre) et à l'O.N.U., le 12 novembre 75 (comme 143ème Etat membre souverain).

                   Cependant, le camp impérial dispose de la force et joue habilement de l'interprétation du droit. A l'opinion internationale, massivement hostile au démembrement, il oppose les contraintes du droit interne : la Constitution française, en son article 53, alinéa 3, ne dispose-t-elle pas que "Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire, n'est valable, sans le consentement des populations intéressées"? Qui plus est, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 30 décembre 75, rejette le recours en annulation, déposé par l'opposition parlementaire et réaffirme : "l'île de Mayotte fait partie de la République Française."

 

            Sur le terrain, les impériaux profitent aussi de l'attentisme de l'opposition au pouvoir personnel d'Ahmed Abdallah ; Mouzawar la rejoint qui, le 19 avril 75, démissionne de son poste de Président de la Chambre des Députés, pour protester contre le refus de l'ancien Sénateur de reconnaître immédiatement à l'Assemblée, des pouvoirs constituants. Mais dès le 8 juillet 75, la Chambre des Députés comorienne élève le Président du Conseil de Gouvernement à la dignité de Chef de l'Etat. Et le 24 juillet, l'annonce de la composition du premier Gouvernement Comorien vient confirmer les craintes des "modernistes" : nul poste ministériel n'y échoit à un membre de l'opposition...  

 

            Les services spéciaux peuvent donc jouer la carte «blanche», c'est-à-dire laisser Ali Swalih renverser le Président Abdallah, le 3 août 75, et accéder au pouvoir le parti "blanc" dont les personnalités dirigeantes semblent présenter toute garantie : le Prince S.Ibrahim est un homme d'une grande rectitude morale et qui n'a jamais manifesté, pour le pouvoir, l'insatiable appétit du Sénateur. Ali Swalih qui le seconde est certes un peu suspect mais, jeune agronome d'une grande envergure intellectuelle et d'un sens certain du concret, il sera facile à contrôler. Cet attelage a d’ailleurs toujours conservé d'excellentes relations avec le Mouvement Mahorais, en sorte qu'on peut attendre de lui, soit une acceptation de la sécession, soit au pire une politique très libérale, favorable à un rapprochement peu contraignant avec les Maorè...

 

Dans la quatrième Comore, justement et aussitôt après la proclamation de l'indépendance à Mouroni, le 6 juillet 75, le Mouvement Mahorais prend les choses en mains : le 20 juillet, il nomme sa figure de proue, INOUSSA BAMANA, comme Préfet provisoire, en remplacement du titulaire unioniste Abdourakib Ousséni. Sa pression s'accentue et explose, après le coup d'Etat du 3 août : ce sont alors des centaines d'unionistes "Serrez-la-main" qui sont molestés par les commandos "Soroda", et doivent s'embarquer, de gré ou de force, sur des boutres et des pirogues, à destination de l'île de Ndzou'ani, à 80 km de Maorè. On a pu avancer le nombre de 4.000 expulsions et «départs accompagnés» en 3 mois. Des familles entières sont déchirées. Ceux qui font amende honorable et paient le zébu du pardon sont laissés tranquilles mais c'est là une tolérance. La gendarmerie française assiste, impavide, aux expéditions punitives et autres exactions, mais se garde d'intervenir, au motif qu'elle n'a pas reçu d'ordres...

 

            A Ndzou'ani, précisément, le Président déchu Ahmed Abdallah, résiste encore : qu'à cela ne tienne, on va emprunter au Président gabonais Bongo, un homme de main du réseau Foccart, un certain Bourgeault, en fait plus connu et redouté sous le nom de "Bob Denard". Celui-ci, à la tête d'un commando gouvernemental, vient réduire la résistance de Ndzou'ani dont la population, divisée et soumise au blocus économique depuis presque deux mois, ne s'oppose au débarquement qu'avec mollesse. Le 23 septembre 75, Ahmed Abdallah doit faire sa reddition et gagner Mouroni, le 9 octobre, pour y être placé en résidence surveillée...

 

            L'année 1975 s'achève par un succès complet, pour les nostalgiques de l'Empire colonial français. Le 21 novembre, ils organisent  pour Ali Swalih - qui apparemment croit encore en la possibilité d'une réconciliation avec les dirigeants du MPM - une opération aéroportée, dite "Marche Rose", sur Maorè. Mais les 150 marcheurs dont le Chef de l'Etat, sont accueillis fraîchement et, sous peine d'être lapidés, doivent se réembarquer (sous la «protection» de la gendarmerie française). On a voulu démontrer, par l'expérience, aux alliés d'hier que le choix des Mahorais était irréversible...

 

            Et, en décembre, c'est la rupture "définitive" entre l'Etat Français, qui retire l'ensemble de son personnel administratif, et l'Etat Comorien qui, en toute logique, étant donnée sa faiblesse insigne, devrait alors se soumettre ou s'effondrer... Le 31 décembre, la loi française 75-1337 consent tout de même à reconnaître son existence et son indépendance, avec compétence à administrer trois îles de l'archipel des Comores !  Un an plus tôt, le 23 décembre 1974, le Président Ahmed Abdallah se voulait encore optimiste :

 

"l'indépendance des Comores sera proclamée / en accord avec le Gouvernement et le Parlement Français / à une date que nous arrêterons ensemble, dans la sérénité, l'amitié et la dignité."

 

 

 

            Un regard rétrospectif, jeté 20 ans après, sur la terrible année 1975, amène à penser que, dans cette mêlée générale, chacune des six principales instances en cause  a poursuivi son objectif, avec une certaine bonne foi. L'infinie complexité de la situation tenait, précisément, à cet enchevêtrement des parcours, à ces différences d'objectifs immédiats, à ces alliances trompeuses et forcément éphémères...

 

            Aux extrémités du spectre, deux instances poursuivaient des buts diamétralement opposés :

 

            1) - l'axe politico-militaire, dit "camp impérial", entendait garder le contrôle direct de la 4ème Comore, surtout après son expulsion de Diégo-Suarez, pour - dans le meilleur des cas - assurer l'approvisionnement de la France en hydro-carbures. 

MOHAMMAD-REZA DJALILI (1978 "L'Océan Indien" PUF Que sais-je ?)"Il suffit de posséder Mayotte pour conserver un pouvoir de regard et de contrôle sur le canal de Mozambique dont l'importance saute aux yeux"

 

            Il était appuyé par des individualités, des personnalités, des cercles, dont les motivations pouvaient être différentes, fondées sur l'intérêt financier, l'affectivité, les craintes  ou, même, le hasard des relations humaines...

 

            2) - l'opinion internationale, représentée par l'Organisation de l'Unité Africaine et l'Organisation des Nations Unies, avait pour objectif permanent de défendre David contre Goliath, d'empêcher la partition du micro-Etat comorien, de lui assurer toutes ses chances de survie, dans un monde, décidément hostile aux faibles. En ce sens, elle pouvait invoquer la DECLARATION  sur l'octroi de l'INDEPENDANCE aux pays et aux peuples colonisés, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies, du 14 décembre 1960, notamment en son Point 6 :

 

"toute tentative visant à détruire, partiellement ou totalement, l'unité nationale et l'intégrité terri-toriale d'un pays  est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies."

 

            A l'intérieur de ce cadre, deux autres instances s'assignaient - et s'assignent toujours -  des objectifs opposés :

 

            3) - les séparatistes du Mouvement Populaire Mahorais, regroupant des personnalités, fort différentes par ailleurs, aspiraient essentiellement à l'ancrage de leur île dans la République Française, pour des raisons parfaitement exposées, le 24 octobre 1967, par Marcel HENRY :

 

"notre intérêt, à nous [Mahorais], est de relever d'un Etat puissant, / de revendiquer la restauration de la tutelle française directe sur notre île /"

 

            4) - les Gouvernements Français s'étaient efforcés, en 1973-75, d'élaborer un projet équilibré, susceptible de répondre et satisfaire à toutes les préoccupations mais, objets de tous les soupçons et attaques, ils ne purent le mener à bien, et encore aujourd'hui, subissent de permanentes pressions internes et externes sur ce dossier.

 

            Enfin, les deux instances de la vie politiques comorienne, majorité et opposition, unies sur le principe de l'intégrité territoriale du pays, mais divisées sur tout le reste...

 

            5) - le Président Ahmed Abdallah et ses partisans, pris dans une spirale qu'ils n'avaient pas prévue, se trouvaient contraints d'accélérer le pas, s'ils voulaient sauvegarder l'intégrité du territoire national (et leur prééminence), en s'appuyant sur le droit international et les organismes qui le défendaient.

 

            6) - l'opposition au Président, s'inquiétait d'un accès précipité à l'indépendance qui semblait devoir conduire l'archipel à deux maux redoutables : la partition - puisque tout n'avait pas été tenté pour se concilier les dirigeants maorè - et la dictature - puisqu'en l'absence d'institutions, le Président Ahmed Abdallah ne manquerait pas de s'attribuer tous les pouvoirs.

 

            Ceux qui ont vécu cette période peuvent attester que nul, à l'époque, n'était pleinement conscient de cette complexité   ni totalement maître de la situation...

 

 

 

 

 

1976-1990 : L'ÉCLATEMENT, LE CHAOS, LES DICTATURES.

 

            Et, cependant, inexplicablement, l'Etat Comorien ne cède pas aux menaces imminentes ! Qui plus est, il fait front, en appelle aux instances internationales, et dénonce l'attitude de la puissance dont il attendait tout :

 

(Ali Swalih, Délégué à la Défense, allocution radiodiffusée du 14 novembre 1975:  "[abandonnant] son rôle d'arbitre impartial et précieux, la France est devenue partie prenante / subordonne l'aide au dépeçage du pays / [utilise, contre nous] l'arme économique et financière // Notre foi initiale en la sincérité du partenaire  nous a dispensés de rechercher, à travers le monde et en temps voulu, les formules de substitution // L'archipel des Comores / amorce la plus dure bataille de son Histoire, celle du développement // Un seul peuple, un seul idéal, un même combat !"

 

            La puissance administrante, non contente d'avoir amputé son territoire, le menace en effet aussitôt de retirer tout son personnel d'encadrement, ce que dénonce le Chef de de l'Etat, S.Mohamed Jaffar, le 28 nov. 1975 : 

 

[animées d'] "une détermination brutale et bornée / les autorités françaises vont tenter / de briser notre économie, notre administration, en coupant / [son] assistance technique //"

 

            Jusqu'au dernier moment, chacun attend que l'autre cède, dans un étrange et indigne marchandage :  renouvellement de l'assistance technique contre reconnaissance de la légitimité de la sécession de Maorè. Le 2 décembre 75, il faut se rendre à l'évidence : la rupture est consommée. Dans sa lettre aux enseignants français, Ali Swalih regrette :

        "votre départ constitue, pour notre pays, une catastrophe// [mais] nous ne pouvons rien signer tant que le préalable de Mayotte n'est pas réglé"

 

            L'Etat Comorien, indépendant dans ces conditions, amputé d'un membre et privé d'oxygène, ne peut plus compter théoriquement que sur l'aide des organisations internationales.

 

            Mais, sur le plan intérieur, l'événement décisif a lieu, le 20 décembre 1975, à Djeddah où s'éteint, au retour de son pélerinage à La Mecque, l'inspirateur et la figure de proue de la politique comorienne, depuis 30 années, le Prince S.IBRAHIM S.Ali. C'est sur son nom qu'a été opéré le coup d'Etat du 3 août 1975. L'axe politico-militaire escomptait qu'il arrondirait les angles d'une situation tortueuse, et qu'il en imposerait, par sa stature historique, aux "jeunes Turcs" de la politique comorienne, et notamment à son bras droit, Ali Swalih, qui commence à prendre de l'ascendant sur les foules, par son verbe flamboyant et par le courage qu'il a déployé.

 

 

 

D/1.  POURQUOI ET  COMMENT  

 cetteINDÉPENDANCE  engendra-t-elle une RÉVOLUTION des STRUCTURES ?

 

            Or, voici justement que cette disparition a pour effet de libérer ALI SWALIHI de toute tutelle (voir Document 21 / photo / page 145.). Comme, en outre, le pays entre dans une atmosphère de vacuité et d'austérité auquel il n'aspirait certes pas,  comme la France en a retiré tous ses cadres techniques,  comme il ne peut plus y avoir d'Etat Comorien, dans la forme où l'avait conçue la puissance administrante, il va incomber au nouveau Chef de l'Etat, élu le 2 janvier 1976, de recréer un instrument inédit, adapté à une situation et tourné vers des objectifs nouveaux... Il possède, pour ce faire, plusieurs atouts :

 

            Yle soutien des organismes internationaux et notamment africain, lui est acquis. Cela va des pays "radicaux" - Guinée, Tanzanie, Algérie, Madagascar, qui ont reconnu l'Etat Comorien dès le 9 juillet 75 - aux pays "modérés", Sénégal, Côte d'Ivoire et Gabon (auquel Ali renvoie promptement Bob Denard). C'est pourquoi, devant les instances internationales, la France se trouve, dès l'origine, complètement isolée : le Conseil de Sécurité de l'O.N.U. lui demande, le 6 février 76, de "respecter l'indépendance, la souveraineté, l'unité et l'intégrité territoriale de l'Etat des Comores" ; 

 

            Y  le maintien de l'Etat Comorien dans la zone franc qui préserve ses relations indirectes avec la France : c'est ainsi que plusieurs pays francophones, membres de l'ACCT (organisme financé par Paris), acceptent de mettre à sa disposition et de rétribuer des professeurs (sénagalais, tunisiens, belges, canadiens) qui reprennent les cours dans l'enseignement secondaire, en mai 1976, après une interruption  de 6 mois ; un projet global cohérent : à cet égard, nul ne savait à quel degré d'audace et de pertinence avait atteint la réflexion politique d'Ali Swalih, jeune et brillant agronome. Surtout, nul ne croyait, dans le contexte comorien, qu'il tenterait de passer du verbe aux actes. Pourtant, à mesure qu'il précise ses objectifs, au travers des discours-programmes prononcés pendant l'année 1976, l'on perçoit que sa vision embrasse l'ensemble des activités essentielles de la jeune nation qu'il veut engagée dans une "révolution démocratique et populaire":  

                       -sur le plan économique, c'est une réorganisation complète de la production agricole, tendue désormais vers l'objectif de l'auto-suffisance alimentaire, en fonction de la nature physico-chimique des sols (plan de l'I.R.A.T.), passant par la nationalisation de l'outil foncier, et constituant à terme le socle du développement multi-dimensionnel du pays ;

 

            -sur le plan administratif, une décentralisation rompant avec le système antérieur et assurant à chaque communauté villageoise, un minimum de services publics de proximité  (dans les "moudiriya") 

 

            -sur le plan idéo-politique, une rééducation des mentalités et une épuration théorique de l'islam local, dans le but de libérer l'intelligence et de permettre l'émergence du citoyen responsable ;

 

            -sur le plan éducationnel, une réhabilitation des lan-gues maternelles et une refonte du contenu des programmes 

pour une adaptation aux réalités socio-économiques du pays ;

 

            -sur le plan social, le souci de tendre vers le plein emploi, en progressant à partir des conditions locales de l'agriculture, de la pêche et de l'artisanat ;

 

            -sur un plan financier, un projet de paradis fiscal, offert à un consortium de banques et susceptible d'attirer une flotte commerciale, placée sous pavillon de complaisance ;

 

            -sur le plan commercial, la réduction du déficit et le contrôle du commerce extérieur  par la constitution d'une seule société d'import-export, où l'Etat sera partie prenante...

 

 

 

D/2.     POURQUOI 

LA RÉVOLUTION SOCIO-POLITIQUE

a-t-elle échoué (1976-78) ?

 

            L'ampleur de ce programme et la capacité théorique et pratique du "formateur", comme Ali S.M. aime à se définir, autorisent certains espoirs et trouvent un écho jusqu'à Maorè, parmi les instituteurs notamment... Car, là-bas aussi, ce sont les catégories dominées qui, en 1975, ont renversé le pouvoir, en place depuis de longues années. La révolution démocratique n'y a pas la même orientation  mais, pour le moment, elle peut encore en paraître proche et faire illusion...

 

            Pourtant, le 13 mai 1978, le pouvoir révolutionnaire est renversé en douceur sans que nul ne le défende vraiment, par un groupe de mercenaires européens débarqués à Itsandra-ville ; le Président Ali Swalih est arrêté, détenu, secrètement condamné à mort, par un cénacle de 7 juges (et parties), et exécuté nuitamment, le 29 mai 1978... 

 

            L'échec du Président Ali Swalihi provient, globalement, semble-t-il, de trois causes fondamentales, qui tenaient aux structures, objective et subjective, de la société comorienne, à la personnalité même du Chef de l'Etat, à la présence hostile de l'impérialisme français.

 

             La société comorienne, nous l'avons vu, est, dans son fonctionnement, plus égalitaire que hiérarchisée : c'est dire que la discipline de ses habitants n'y est pas aussi rigoureuse que dans les vieilles sociétés pyramidales où le supérieur avait droit de vie ou de mort sur l'inférieur. Mais, curieusement, sur le plan subjectif, façonné par le conditionnement féodal-coranique, elle obéit à des normes et à des convictions fixistes et inégalitaires. L'affectif y domine toujours. L'intellect y déploie souvent des trésors d'ingéniosité mais il les met, finalement, au service des projets de l'affectivité. Les solidarités familiale, clanique, aldéïque, insulaire, l'emportent sur l'idée de Nation, en sorte que celle-ci n'y est pas encore perçue  comme un intérêt général et supérieur auquel l'on puisse et doive consacrer dévouement et engagement...C'est dire que son accession à l'indépendance, en 1975, dans des conditions héroïques, avait été accidentelle et ne reflétait aucune disposition particulière du peuple à une épopée nationale...

 

            La personnalité du Chef de l'Etat est complexe ; par le canal de son protecteur S.Ibrahim S.Ali, il a entretenu des relations ambiguës avec les services spéciaux qui ont facilité son accession au pouvoir. Ce trait le prive du ralliement des étudiants bourgeois-révolutionnaires de l'A.S.E.C., alors qu'il manque cruellement de cadres compétents et dévoués. La conscience de ses capacités intellectuelles supérieures lui fait sous-estimer celles de ses ennemis, dont certains vivent dans son entourage immédiat. Son penchant pour la consommation d'alcool et de chanvre, ses appétits sexuels débridés, ne sont pas faits pour accroître sa vigilance... Il a cru pouvoir ne pas régler entièrement sa dette financière envers le tueur à gages Bourgeault et, en février 1976, il se contente d'un simple serment sur le Coran pour accorder exil et liberté à Ahmed Abdallah...

                       Surtout, il sous-estime l'importance du rythme et de la forme des procédures qu'il met en place, alors même que leurs finalités peuvent paraître légitimes ;

 

             il croit ainsi pouvoir modifier profondément en deux ans, le fonds idéologique de la population alors que les mentalités n'évoluent que sur le temps long... Il se refuse, semble-t-il, à étaler sur au moins dix ans un programme, trop vite dévoilé dans toute son ampleur, et cela le contraint à agir sur tous les fronts simultanément. Du même coup, il décuple les rangs de ses adversaires conservateurs, tandis que, par un scrupule louable de démocratie, il néglige de donner à son régime des fondations solides et durables ;

 

            en faisant ou laissant brutaliser et humilier les "Vieux Turbans", il omet de comprendre que les formes touchent au fond et le discréditent. Il détourne de lui le grand nombre des villageois qui auraient compris une révolution douce, adaptée aux moeurs caressantes du pays... Il manque ainsi à rompre avec le domaine passionnel et attente ainsi à tout l'esprit de sa refonte socio-politique, orientée vers la logique et la raison...

 

            L'hostilité sourde et sous-jacente de l'axe politico-militaire impérial français - qui possède des agents et des sympathisants partout, y compris au sommet de l'Etat Comorien - ne s'est jamais démentie. Sa fureur ne pouvait, on l'imagine, qu'être proportionnelle à son engagement  dans la préparation du coup d'Etat d'août 1975. Il avait, lui-même, placé au pouvoir un homme dont il découvrait les plans avec horreur...

            Sa première manipulationde grande ampleur affaiblit considérablement le pouvoir d'Ali Swalih et fait d'une pierre deux coups : c'est la manoeuvre du 22 décembre 1976, à Mahajanga, qui a consisté à exploiter l'antagonisme ancien entre Comoriens et Malgaches vivant dans le nord de Madagascar. Le massacre de plus d'un millier de Comoriens par des groupes de Bétsibaka, permet d'enfoncer un coin entre les deux régimes progressistes honnis, de D.Ratsiraka et d'Ali Swalih, de les dresser l'un contre l'autre et de les affaiblir tous deux, sur le plan national pour le comorien, sur le plan international pour le malgache. L'opération est un plein succès, même si Ali s'efforce d'en faire une épreuve de solidarité nationale. 

                                    Pour faire face à cette situation, le Chef d'Etat doit en effet rapatrier un grand nombre de citoyens comoriens et, pour ce faire, puiser dans des réserves déjà comptées. Il conçoit, à l'égard de son homologue d'Antanarivou, une suspicion qui l'amène, non seulement à présenter un Livre Blanc sur les événements de Mahajanga, mais encore à accuser Madagascar d'avoir des visées sur ... Mayotte !

                       La deuxième manipulation, sans fard celle-ci, consiste à préparer l'opinion publique française et internationale à la nécessité de rétablir l'ordre dans l'archipel. C'est ainsi qu'arrivent à Paris-Orly, le 21 février 1978, un groupe de vingt jeunes réfugiés comoriens, dépourvus de passeports : fugitifs de Ndzou'ani, ils ont été accueillis à Mayotte, convoyés jusqu'à La Réunion, et pris en charge par ...la Croix Rouge manipulée ou complice ; puis, ils se sont vu payer le voyage jusqu'à Paris où ils sont admis comme réfugiés politiques par le Ministère de l'Intérieur ! 

 

            Plusieurs opérations de ce type ont lieu en février et mars. 

            Les partisans d'Ali ont beau manifester, le 11 mars 1978, à Msamoudou de Ndzou'ani, contre "la pêche aux Comoriens par la Marine française", ils ne disposent pas des mêmes moyens d'"information"... Cette manipulation va prendre valeur d'estocade, dans la mesure où elle coïncide avec le "massacre d'Ikoni", événement décisif dans la chute du régime.

            Le 17 mars 1978, à Ikoni, les militaires, défiés par la population, tirent sur elle, faisant onze morts et de nombreux blessés... Le Chef de l'Etat Comorien sévit contre les coupables, mais, profondément affecté, voit les rangs de ses partisans s'éclaircir encore.

 

            La troisième opérationdes services spéciaux, dirigée par R.Denard lui-même, financée par les personnalités politiques comoriennes à Paris, n'est plus qu'une formalité ; renseignés et guidés de l'intérieur, les mercenaires débarquent à Itsandra-mdjini, dans la nuit, aux premières heures du 13 mai (choix significatif) 1978, et sans presque coup férir, vont arrêter le Président Ali, au palais de Ka'ndani. 

 

            Les commanditaires du contre-coup d'Etat arrivent, triomphalement accueillis, le 21 mai. Mais ils pressentent déjà, que, sans envergure intellectuelle ni programme de réformes, ils ne garderont pas longtemps la faveur d'un peuple d'ailleurs versatile... Il leur faut décider la mise à mort du Président déchu, qui, vivant, ne tarderait pas à retourner la situation en sa faveur. L'assassinat est donc perpétré une semaine après, le 29 mai, par un tueur à gages, obligeamment prêté par R.Denard. 

 

            Avec la disparition du "père de la Révolution", c'en est bien fini de l'expérience socialiste en cours, même si, de ce jour, commence paradoxalement à cheminer une meilleure compréhension de ses objectifs, dans un peuple qui, à l'époque, n'était pas mûr pour les partager...

 

 

 

 

D/3.  COMMENT  CARACTÉRISER 

La PÉRIODE   de   RESTAURATION, 

dans la TRINÉSIE  (1978-89) ?

 

 

            Le retour au pouvoir d'Ahmed Abdallah, le "père" d'une indépendance qui en eut plusieurs, se présente dès l'abord comme un triomphe de la réaction, non seulement contre toutes les réformes entreprises par son prédécesseur, mais, encore contre toutes les réformes à entreprendre. Car, dès avant l'indépendance, tous les rapports d'expert, mettaient en évidence un certain nombre de carences à pallier d'urgence, dans la perspective du développement et même, de la survie du pays...

                       

            Le pouvoir dispose pourtant  d'atouts non négligeables : un large consensus du personnel politique, opposé aux violences et humiliations du régime des imberbes, une stabilité offerte par le service d'ordre des mercenaires européens, une notoriété et une sympathie internationales inespérées et dues, précisément à l'affaire de Mayotte, des aides techniques offertes par les organismes spécialisés de l'O.N.U., des financements précieux, en provenance de pays arabes et islamiques... Enfin, le Président a établi, dès le 1er juillet 1978, des relations diplomatiques normales avec la France et noué avec elle cinq accords de coopération, le 10 novembre de la même année...

 

            Certes, le nouveau régime souffre aussi de quelques handicaps : ainsi, le 18 juin 1978, la République Malgache suspend ses relations aériennes et maritimes avec les Comores. Et le 8 juillet, la délégation comorienne est expulsée de la I5ème Conférence au sommet de l'O.U.A. Le Président Ahmed Abdallah est contraint, le 26 septembre, de remettre dans l'ombre le roi des mercenaires R.Denard qu'il avait «spontanément» placé à la tête de l'Armée Comorienne.

 

            Mais cela n'est qu'un isolement temporaire et partiel. Pour le reste, et dès avant son élection, le 23 octobre 1978, comme Président de la "République Fédérale Islamique des Comores", il est presque totalement maître de la situation. Débarrassé du contrôle direct et pointilleux de l'administration française et de toute autre instance, protégé par une garde prétorienne (que les mercenaires européens forment, encadrent, étoffent), il n'a jamais eu autant de pouvoir et autant de liberté. Il peut compter, en effet, sur un gouvernement, constitué de personnalités politiques éminentes qui se neutralisent les unes les autres en le servant. Enfin, au plan des villages, le pouvoir trouve le relais traditionnel et restauré des notables locaux, «Vieux Turbans» chargés d'amortir et étouffer les turbulences rurales et juvéniles. 

 

            Mais, dans cette conjoncture favorable, ses penchants anciens vers le faste, la suffisance et l'arbitraire se trouvent stimulés et justifiés... D'ailleurs, rien n'a changé dans l'homme Ahmed Abdallah ni dans "sa propension à confondre les finances de l'Etat et ses propres opérations commerciales //"(T.Michalon 1984).

 

            Bientôt, le "Libérateur de la patrie" tolère, de plus en plus mal, qu'on puisse songer à remettre en cause son autorité... La Constitution, adoptée le 5 octobre 1978, prévoit, certes, une large régionalisation des îles mais ne sera jamais qu'un "décor en trompe-l'oeil" (T.Michalon 84). Ainsi, dès le mois de décembre, le Président fait élire massivement ses partisans à l'"Assemblée Fédérale" qui tient lieu de Parlement.

 

            A l'agitation sociale et politique qui nargue son pouvoir personnel, dès 1980 (grève des ouvriers du bois, des instituteurs, des lycéens), il réplique par des arrestations de militants qui vont rejoindre les 300 prisonniers politiques, détenus depuis son installation. Le 6 février 1982, il instaure un parti unique, l'U.C.P., et, la même année, il fait voter un amendement à la Constitution qui lui permet de nommer directement le Gouverneur, précédemment élu, de chacune des trois îles.  

 

            Naturellement réélu, dans ces conditions, Président de la République, en octobre 1984, pour un deuxième mandat de 6 ans,  il peut asseoir sa "dictature molle" - heureuse expression d'un journaliste - et recevoir les hommages, notamment internationaux, dont il est friand. Cependant, la société comorienne connaît des difficultés nouvelles qu'il ne s'attache pas vraiment à réduire :

 

            ula corruption gangrène l'administration ; les experts  étrangers (et même comoriens) dénoncent la "gabegie desfinances publiques" (17 juillet 1981), et la léthargie dans laquelle sombre l'économie du pays (1982) ; les inégalités sociales se creusent, notamment, entre bourgeoisie citadine et prolétariat rural ; l'Etat, progressivement, ne joue plus son rôle correcteur et protecteur, et se montre incapable d'assurer les services sociaux élémentaires qu'il dispensait précédemment : santé, éducation, notamment, deviennent un luxe que les plus aisés, seuls, peuvent s'offrir.

 

            Les mercenaires, à l'instigation de l'organisateur R.Denard, occupent progressivement des secteurs lucratifs, dans la production (primeurs sur des terres domaniales allouées) et dans la distribution-commercialisation (monopole d'importation de la viande du Botswana, importation de pièces automobiles). Ils conservent, d'ailleurs, la haute main sur la Garde Présidentielle, sur la Sécurité et les Renseignements. Ils font, également, régner l'insécurité, à l'occasion, et opèrent des ponctions sur les finances de l'Etat et sur les dons en provenance des pays amis. (Voir Document 21 / photo / page 156.)

 

            Sur le plan international, le Président Ahmed Abdallah, fort des bonnes relations qu'il entretient avec Paris, tente un coup politique dont la finesse échappe aux militaristes du bloc impérial français : lors des fêtes de l'Indépendance de juillet 1979, auxquelles il a invité le Ministre de la Coopération Galley, il confie à la France... la défense du territoire comorien. Un tel geste est d'une habileté douteuse, puisque la France occupe, déjà, illégalement au regard du droit international, un quart du territoire comorien... En se jetant dans les bras des militaires français, le Président risque de perdre une partie du soutien international dont il a le plus grand besoin, s'il veut récupérer l'île soeur de Mayotte...

 

            L'élection imprévue de F.Mitterrand comme Président de la République Française, en mai 1981, lui laisse, un moment, espérer la réintégration prochaine de l'île rebelle, succès dont il pourrait se targuer et prévaloir. Mais cet espoir est bientôt déçu et il en exprimera quelque amertume.

 

            A partir de 1985, sa popularité et son pouvoir ne cessent de décliner, à mesure que montent, s'affirment et se conjuguent les mécontentements : la population rurale des exclus s'estime à bon droit marginalisée, les divisions se font jour au sein de la Garde présidentielle (et même parmi les mercenaires devenus les piliers du régime), les personnalités politiques dominantes (Ali Mroudjaé, Mohamed Taki, Mouzawar Abdallah) s'impatientent et aspirent à la succession, la jeunesse révoltée reprend les thèmes marxistes, à mesure que l'analyse du Président assassiné Ali Swalih gagne en pertinence, confrontée aux réalités socio-politiques du pays... La violence, l'insécurité, la torture dans les prisons, les crimes de sang, refont leur apparition, portés à une échelle inconnue, précédemment.

 

            Loin de reconnaître l'ampleur de son isolement, Ahmed Abdallah choisit de couper l'herbe sous les pieds des présidentiables qui piaffent : il décide de modifier la Constitution, de manière à pouvoir exercer un troisième mandat présidentiel. Mais il va plus loin encore ! Poussé par certains chefs d'Etat et par les instances internationales, il croit, aussi, pouvoir s'affranchir du contrat, scellé dans le sang d'Ali Swalih, qui le lie à B.Denard, depuis 1978. C'est mal connaître l'agent officieux de la D.G.S.E. qui le fait froidement exécuter, le 26 novembre 1989, en sa présence...

 

            Ainsi disparaît le Père de l’Indépendance. Que n'avait-il médité, avant d'émettre publiquement, le 17 octobre 1981, cette phrase plaisante : 

 

"Quand une fille qui s'appelle les Comores aime un homme qui s'appelle la France et que cet homme ne l'aime pas, elle peut, soit se suicider, soit chercher un autre homme."

 

            Pour les bonnes gens de l'axe impérial, une fille ne cherche pas, elle se suicide !

 

            Inaugurée par un assassinat de Président, en 1978, la période se clôt, au sommet de l'Etat Comorien, par un autre assassinat de Président, en 1989. Cette expérience de 14 années d'indépendance vient décevoir bien des espoirs, dans la trinésie comorienne. Certains n'hésitent pas à regretter le choix adopté en 1974 : c'est ainsi que, dès le 23 novembre 1981, les notables de Msamoudou de Ndzou'ani, demandent au Président Mitterrand de replacer leur île "au sein de la France". Est-ce une manifestation de défiance envers leur Président, Ahmed Abdallah, l'homme de Domoni, ou bien veulent-ils donner par là implicitement raison aux Maorè, qui eux ont choisi la sécurité ?

 

D/4.   PEUT-ON  PARLER   d’une 

DEUXIÈME COLONISATION 

de MAYOTTE  ( 1975-9O)  ?

 

            Car, à Maorè, on peut avoir des raisons d'exulter... On ne se prive pas d'ailleurs, lors de la chute du régime d'Ali Swalih, d'ironiser et d'affirmer : "Non seulement l'Etat Comorien n'a pas pris Mayotte mais, encore, c'est Mayotte qui a pris l'Etat Comorien !" 

 

            On dit ainsi clairement ce qu'à Paris, le Ministère des Affaires Etrangères s'efforce de nier  en déclarant, le 12 juin 1978,  que le Gouvernement Français n'a "rien à faire, ni de près ni de loin, avec les événements qui se sont déroulés / aux Comores."

 

                   Le retour aux affaires, dans ces conditions, du Président Ahmed Abdallah est d'ailleurs avantageux pour les Maorè :  d'une part, ses actes sont contrôlés, de l'intérieur, par les mercenaires et les coopérants militaires français, et de l'extérieur, par les F.A.Z.S.O.I. (Forces Armées de la Zone Sud de l'Océan Indien), et d'autre part, il constitue pour la population mahoraise, pour l'opinion française et même pour l'opinion internationale, le repoussoir absolu.

 

            La situation se trouve donc garantie, de ce côté-là, en sorte qu'après une période de vide juridique remarqué, d'"administration provisoire" et de consultations rassurantes (8 février et 11 avril 1976), on va pouvoir se tourner vers le rattrapage des retards économique et social, accumulés par l'île. 

 

            La loi 76-1212 du 22 décembre 1976 confère à l'île un statut de "Collectivité Territoriale"de la République Française, au "contenu hybride" (F.Miclo 91) et permet l'"entrée de la France administrative à Mayotte" (Michalon), avec la promulgation, le 18 mai 1977, du décret 77-509 portant création de 17 communes dans l'île.

 

            A certains égards, la période ressemble à la première période coloniale de 1843 à 1858. Sur la même durée de 15 ans, on assiste à la répétition de certains phénomènes déjà vécus :

            H"invasion" de l'île par des entrepreneurs (dont certains aventuriers) qui mesurent mal les difficultés locales de la tâche de développement en cours ;

 

            Hchoc culturel dans les relations entre arrivants, brutaux dans leur souci d'efficacité, et population formaliste et réservée, tentée par des réactions de repliement et de rejet. 

 

            La phrase du Commandant BONFILS, écrite le 6 février 1852, prend, à cet égard, une curieuse actualité :

 

"c'est un mal, sans doute, au point de vue moral, que ce grand désordre, apporté dans une société. /// comprenant peu l'utilité d'une semblable occupation / j'ai fini par me persuader qu'il existait une raison politique que je devais ignorer //"...

 

            déchirure partielle du tissu social maorè et creusement des inégalités entre opportunistes et exclus du nouveau système ;

 

            dégâts, proprement écologiques, dûs à l'intensification de la mise en valeur d'un milieu insulaire aux équilibres naturels précaires.

 

            On est assez loin, dans ces conditions, du voeu pieux, formulé en 1982 par le député JF.Hory qui souhaitait«mettre en oeuvre un développement auto-centré et adapté aux capacités comme aux potentialités mahoraises.»

            

            Cependant, un siècle s'est écoulé, depuis la première colonisation. Cette seconde mise en valeur  présente aussi des caractéristiques profondément nouvelles :

 

            tout d'abord, elle est, cette fois, réclamée par une large majorité de la population locale, notamment rurale, fédérée au sein du Mouvement Populaire Mahorais ; et ce sont les Mahorais eux-mêmes qui, à partir du 18 mai 1977, dans le cadre des communes, sont appelés à gérer leurs propres affaires, et orienter ainsi leur destin... Cette structure nouvelle va profondément modifier, en quelques années, et malgré des débuts difficiles, l'attitude traditionnellement aldéïste des populations : elle crèe, en effet, une solidarité, inconnue jusque-là, entre villages (= aldées) voisins, rivaux historiques... 

 

            surtout, la théorie et la pratique du pouvoir central ont profondément évolué, depuis une trentaine d'années. Le Centre métropolitain a, maintenant, non seulement les moyens financiers et techniques, mais encore, la volonté d'investir, à bon escient, pour le développement des territoires péri-phériques, à la demande de leurs représentants élus. C'est, d'ailleurs, cette fois, non plus le secteur privé, mais bien le secteur public qui va initier et induire tous les progrès enregistrés dans l'île en quinze ans... Ceux qui l'animent ne cachent d'ailleurs pas leur intention d'effacer et faire oublier l'incroyable état d'abandon dans lequel la France avait laissé croupir l'île, pendant plus de 120 ans de colonisation ; 

 

            sur le terrain, l'Administration s'appuie maintenant sur des équipes de techniciens jeunes, dévoués et plus proches de la population, moins soucieux de leur statut social que de la résolution de problèmes techniques précis, par des moyens adaptés. Ils sont, ainsi, à l'origine de réussites spectaculaires, dans le domaine de l'habitat rural, des voies de communication routières, du captage des eaux, de la protection sanitaire en milieu rural...

 

            En une dizaine d'années, la quatrième Comore a non seulement rattrapé le retard socio-économique pris sur Ngazidja et Ndzou'ani, mais encore dépassé les îles soeurs, dans le sens du développement équilibré. Du point de vue social aussi, le différentiel des salaires servis, ici et là, donne une idée du fossé qui s'est creusé entre l'île sous administration française et les îles sous administration comorienne : en 1985, un instituteur qualifié reçoit un traitement de 1.800FF à Maorè, et de 600FF à Ngazidja ; un ouvrier bénéficie du SMIC à 1.000FF à Maorè tandis qu'il risque de recevoir l'équivalent de 400 ou 500FF à Ngazidja.

            

            Le processus tend à se poursuivre, sous l'impulsion conjuguée des impériaux, agissant au sommet de l'Etat Français, et, sur place, des séparatistes maorè, des cadres techniques métropolitains, du secteur privé et même, des syndicats de travailleurs maorè qui, eux, fondent leurs revendications sur la